Crise des gilets jaunes : le numérique est à la fois la cause et la solution

La crise des gilets jaunes est née sur les réseaux sociaux, la réponse passera également par eux. Ce mouvement y a été lancé à l’origine pour dénoncer la hausse des taxes sur le carburant, avant de développer des revendications plus larges. Pour sortir de l’impasse et désamorcer les prochains conflits, les outils numériques doivent être mis au service d’une participation citoyenne et d’une démocratie augmentée.

UNE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE OU AUGMENTÉE 

Internet est un instrument, inédit dans l’histoire de l’humanité, permettant de communiquer publiquement. C’est « le sacre de l’amateur », plein de promesses pour la circulation de l’information, mais notre vielle démocratie, héritée des Lumières est naturellement porté à en redouter les dérives. Afin d’outiller le dialogue social et de le rendre réellement participatif, il convient de donner de la légitimité aux actions produites directement par les citoyens notamment sur les réseaux sociaux. Pour reprendre la définition de F. Gleize : « La démocratie participative se caractérise par un ensemble de dispositifs visant à assurer une forme de participation des citoyens et des organisations de la société civile dans le processus décisionnel de politiques publiques, soit qu’ils aient pris la parole de leur propre initiative soit qu’ils aient été sollicités pour le faire ».

Malheureusement cette définition a longtemps été moquée ou dévoyée en France où les campagnes participatives sont toujours au service d’un(e) seul(e) candidat(e). Pourtant les technologies de l’information et de la communication et, en particulier les réseaux sociaux permettent désormais d’adopter des modes démocratiques qu’on a longtemps cru réservés à des pays pas plus grands que la Suisse. En France l’e-démocratie prendra du temps, mais elle pourrait se matérialiser par un réaménagement des rapports de forces traditionnels.

LA TECHNOLOGIE N’EST NI BONNE NI MAUVAISE, ELLE N’EST PAS NEUTRE NON PLUS

Internet a transformé les individus, tant dans leurs rapports au temps, que dans leurs appartenances collectives. Il est ainsi fréquent d’entendre les acteurs de la vie politique dénoncer une société du chacun pour soi, où les individus ne penseraient pas aux autres. Mais la réalité est plus nuancée. Le débat a désormais lieu en permanence sur les réseaux sociaux. Si rien ne légitime la violence, c’est souvent le recours de ceux qui ont le sentiment qu’ils n’ont plus rien d’autre pour se faire entendre. Les individus ont surtout perdu confiance dans la capacité du système à prendre en compte leurs intérêts et à les représenter. Et en même temps, notre système de représentation déresponsabilise les citoyens qui ont l’habitude de se reposer sur les politiques publiques.

Désormais, les citoyens ne souhaitent plus entrer dans les petites cases préétablies par les partis politiques. Ils sont toujours prêts à s’engager pour des causes communes mais ils ne suivent plus nécessairement sur la durée un leader qui leur indiquerait le mode opératoire. Il est urgent ainsi de reconnaître la capacité des individus à prendre des initiatives qui ne viennent pas nécessairement d’en haut, d’un parti politique, d’un syndicat ou de toute autre forme institutionnalisée.

MODERNISER LE DIALOGUE ENTRE ET AVEC LES CITOYENS 

La communication de masse, à des foules et avec le même message pour tout le monde ne marche plus. Avant, la communication se faisait dans un seul sens : les politiques parlaient et les citoyens écoutaient. Avec les réseaux sociaux les citoyens ont pris le pouvoir sur les politiques. En effet, dans un monde où l’information est abondante, quand bien même il serait plus difficile de distinguer le vrai du faux sur Internet, il est de moins en moins admis qu’une partie de la population, « les élites », continue de profiter d’un certain pouvoir en s’appuyant sur un monopole qu’elles ont perdu. C’est sans doute ce qui explique la méfiance à l’égard des journalistes et plus encore des politiques. Pour rétablir un climat de confiance, les politiques doivent se mettre à la portée des citoyens en se soumettant à l’épreuve de la discussion, de l’évaluation et de la co-construction transparente.  

Il s’agit de démontrer aux citoyens que leur parole est utile, qu’il ne s’agit pas d’une démarche participative en trompe l’œil. La possibilité d’échanger de façon plus immédiate et plus personnalisée avec les pouvoirs publics est par exemple sous utilisée. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un des représentants des gilets jaunes a refusé de rencontrer le Premier ministre Edouard Philippe. Il réclamait en effet la diffusion en direct du rendez-vous afin de rendre compte des échanges. Mais l’erreur la plus grave est de vouloir discuter avec des représentants qui n’en sont pas.  En observant de près les messages postés sur les réseaux sociaux, on peut remarquer qu’il y a autant de revendications différentes que de gilets et qu’il est difficile de les agréger de façon homogène. Les revendications vont ainsi bien au-delà de la hausse des taxes sur le diesel, allant jusqu’à demander la démission du président de la République et la dissolution de l’Assemblée Nationale. Or Facebook, comme de nombreuses plateformes, permet désormais de diffuser des vidéos en live et d’interagir avec les internautes en direct. C’est cette dernière possibilité qui devrait être mise en œuvre à Matignon. 

RECONNAITRE LA CO-CONSTRUCTION DU DROIT 

À l’heure où les pétitions se multiplient, on peut également regretter l’absence de plateforme numérique permettant aux citoyens de « prendre l’initiative » en matière de proposition et de discussion de nouvelles législations et réglementations. Pour la mobilisation directe et spontanée des internautes ne soit pas vaine, il convient de donner un pouvoir d’initiative aux citoyens permettant de saisir directement le législateur qui pourrait s’inspirer du référendum d’initiative citoyenne qui permet la saisie du Conseil économique, social et environnemental par une pétition atteignant 500.000 signatures. Il convient d’ailleurs de rappeler que lorsqu’une personne prend une initiative, une décision qui l’engage, elle se sent davantage impliquée, concernée, responsable. Au final elle se sent mieux et devient plus contributive. En se saisissant des sujets évoqués par des groupes de pétitions, le dispositif offrirait aux citoyens qui se sont engagés individuellement, en apportant leur signature, un débouché institutionnel constructif par le biais de la mobilisation des organes institutionnalisés par la Ve République. 

Aussi, face au rejet des anciens modes de représentation, il faut restaurer la capacité des personnes à affronter positivement les problématiques/situations auxquelles elles sont confrontées en favorisant la prise d’initiative citoyenne. L’e-gouvernement implique un changement culturel majeur, grâce à une nouvelle forme d’interactions afin de reconstruire le débat public avec les citoyens. En définitive, il faut stimuler une appropriation citoyenne du débat public, afin de rendre les politiques publiques plus consultatives et transparentes en favorisant ainsi plus d’interaction, de partage et de collaboration avec les citoyens.

Publié dans l’Usine Digitale

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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