Impôt sur le revenu : une nouvelle tranche supérieure serait une grave erreur

A peine ouvert et déjà concentré sur les prétendues vertus redistributrices de l’impôt, le débat public sur la fiscalité semble d’emblée s’égarer sur les fausses pistes de la démagogie et du court-termisme. En témoigne l’idée avancée par certains ministres ou députés de la majorité consistant à accentuer la progressivité de l’impôt sur le revenu, soit par la création d’une nouvelle tranche supérieure, soit par le rehaussement des deux taux de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (dite « surtaxe Sarkozy »). On prétend que l’IR aurait une valeur symbolique ; mais de quelles valeurs un impôt dont 2 % des contribuables acquittent seuls 42 % des recettes est-il le symbole, sinon celui de la spoliation ? On s’étonne, tandis que d’autres distorsions économiques de moindre ampleur sont presque toujours parfaitement identifiées, que les distorsions induites par la fiscalité attirent aussi peu l’attention des décideurs et autres débatteurs. Les conséquences de l’hyper-progressivité de l’impôt sur le revenu et de ses taux marginaux élevés ne devraient pourtant pas être éludées.

Il n’est pas inutile de rappeler que, si le taux de 45 % apparaît déjà singulier au regard des taux en vigueur dans certaines des grandes économies concurrentes, l’impôt sur le revenu n’est pas en France la seule imposition sur le revenu. Il faut en effet ajouter aux taux du barème de l’IR 17,2 % de prélèvements sociaux (la part de CSG déductible n’est que de 6,8 points), ainsi donc que ladite « surtaxe Sarkozy », qui peut aller jusqu’à 4 %. Il faut encore tenir compte des cotisations sociales (devenues des prélèvements obligatoires « sans contrepartie » depuis qu’un euro additionnel de contribution, non seulement ne procure aucun bénéfice supplémentaire, mais peut même en confisquer compte tenu des déplafonnements et des versements de prestations sous conditions de ressources). Bref, 45 % signifient en réalité, pour les personnes les plus qualifiées, plus de 60 % et parfois près de 70 % (ceci sans tenir compte des impôts frappant l’épargne lorsque la consommation du revenu est différée dans le temps). A l’heure de l’économie de la connaissance et de l’intelligence artificielle, que la rémunération marginale du travail le plus qualifié puisse s’évaporer dans de telles proportions constitue un problème très sérieux qu’il serait déraisonnable d’aggraver – y compris au nom de la « justice fiscale », concept aux contours éminemment imprécis en régime démocratique, où une majorité d’électeurs peut toujours se coaliser pour ponctionner à son profit une minorité de contribuables.

La lucidité doit être le premier des courages : la France surtaxe les personnes les plus créatives de son corps social en même temps qu’elle cajole, par le jeu des subventions et des aides sociales, les éléments les moins entreprenants ; repoussant les plus doués, notre pays attire les moins qualifiés. L’école française d’économie politique (Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, Jules Dupuit ou encore Paul Leroy-Beaulieu) a décrit, bien avant la courbe et le triangle respectifs des Américains Arthur Laffer et Arnold Harberger, les dommages que des taux marginaux trop élevés infligeaient à l’économie en fait de désincitation au travail et à l’épargne – et conséquemment aux recettes publiques, du fait de la contraction des bases taxables. La théorie économique plus récente a porté le coup de grâce : en pénalisant le rendement des efforts de formation et d’acquisition de savoir-faire, de connaissances et de qualifications, les excès du taux marginal complet d’imposition des revenus se révèlent préjudiciables à tous. En pleine « guerre des intelligences », pour reprendre l’expression de Laurent Alexandre, la priorité des réformes en matière fiscale n’est pas l’aggravation de la progressivité de l’impôt mais, au contraire, la réduction drastique de ses taux marginaux.


Publiée dans l’Opinion

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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