Avec 57% de prélèvements obligatoires, la France est le pays développé où la richesse produite est la plus ponctionnée. Le quinquennat d’Emmanuel Macron marque-t-il une rupture à cet égard ? On peut certes se féliciter de progrès concernant certaines baisses des charges pour les entreprises, ou du rabotage de l’ISF. Mais les mécanismes fondamentaux de la déviance fiscale sont toujours bien présents : une conception dévoyée de l’impôt est instrumentalisée par un Etat aux abois.
La déclaration des droits de l’homme de 1789 (article 13) définissait l’impôt comme la contribution commune à « l’entretien de la force publique » et aux « dépenses d’administration ». L’Etat-providence a ajouté deux autres fonctions : la redistribution et l’incitation. Elles effacent le lien entre contribution et dépenses publiques et légitiment une extension à peu près infinie des prélèvements.
Au nom d’une solidarité aux contours flous, la redistribution pourra se justifier aussi longtemps que subsisteront des formes d’inégalité des conditions. Notre pays est celui où l’effet égalisateur des prélèvements est le plus élevé au monde, et pourtant il est aussi l’un de ceux où la demande pour une solidarité accrue s’exprime avec le plus d’insistance. Dans bien des cas l’exigence de « justice » n’est d’ailleurs que le faux-nez de cette passion bien française qu’est l’envie. L’une des techniques les plus pernicieuses pour faire progresser le fardeau fiscal, outre celle de la complication qui brouille toute compréhension, est celle de l’accroissement régulier. On fixe taux d’abord minime qui sera augmenté année après année. Un exemple ? La contribution sociale généralisée, créée en 1990 par Michel Rocard, fixée au départ au taux de 1,1 %. Trois ans plus tard, le gouvernement Balladur portait la taxe à 2,4 %. Elle atteindra 7,5 % sous le gouvernement de Lionel Jospin en 1998, puis 8,3% avec Edouard Philippe.
La fiscalité incitative est plus pernicieuse encore. L’Etat souhaitant promouvoir sa propre conception de la « vie bonne », tout produit ou toute conduite peut faire l’objet d’une prescription ou d’une interdiction. L’impôt devait être utilitaire et objectif, il est désormais moralisant et arbitraire. Il devait être une simple opération arithmétique de répartition des charges, il est désormais un effrayant écheveau de peines et de récompenses. Derrière la fiscalité incitative s’est installée l’idée délétère selon laquelle l’impôt est là pour dire le bien et le mal, et cela d’une façon particulièrement hypocrite puisque les taxes censées décourager un comportement fournissent des recettes très attendues.
L’impôt étant devenu, non plus seulement un instrument à financer les dépenses communes, mais aussi un levier de moralisation forcée, l’Etat peut en accroître à volonté le montant. Après quarante années de déficits ininterrompus, la contrainte budgétaire est devenue telle que c’est la dépense qui fait la politique en France et non plus la politique qui fait la dépense. Les entreprises et les particuliers sont traités comme un cheptel à tondre plutôt que comme une population à servir. Dans ses Mémoires, le duc de Saint-Simon rapporte comment Louis XIV avait déclaré qu’ayant dû fortement augmenter les impôts, « les scrupules de prendre ainsi les biens de tout le monde l’avaient fort tourmenté ». Il n’avait été apaisé, disait-il, qu’après une consultation « des plus habiles docteurs de Sorbonne » rappelant « que tous les biens de ses sujets étaient à lui en propre, et que, quand il les prenait, il ne prenait que ce qui lui appartenait ». La désinvolture avec laquelle Bercy s’arroge le droit de multiplier les spoliations témoigne d’une semblable conception de l’impôt. On habille de justifications bienpensantes ce qui n’est qu’un travail patient de dépeçage. On couvre de mots ronflants ce qui n’est qu’un grattage frénétique de toutes les ressources possibles. Jusqu’à l’absurde : en témoignent la stupéfiante « taxe sur abris de jardins » qui a bondi de 3,8% depuis le premier janvier, ou l’idée mainte fois avancée d’imposition des loyers fictifs. Même les taxes écologiques cachent mal leur but essentiel qui est de remplir les caisses (vides) de l’Etat.
Redistribution et incitation font oublier l’évidence : un impôt est une confiscation de notre propriété qui ne devrait être justifiée qu’avec d’infinies précautions. Pour paraphraser Montesquieu, on ne devrait toucher aux biens des citoyens « que d’une main tremblante ». La banalisation du prélèvement a fini par inverser la logique de l’impôt : ce n’est plus à l’Etat de prouver la nécessité de ce qu’il nous prend, c’est à nous de prouver que nous avons besoin de ce que nous conservons. Comment ne pas voir un tel raisonnement dans cette habitude absurde de parler de « cadeau » dès qu’il s’agit de modérer un impôt ou une taxe ? Bercy parle de « dépenses fiscales » pour désigner toute modulation à la baisse de ses prélèvements. Notre revenu et notre patrimoine ne sont plus considérés comme le fruit de nos efforts et notre propriété, mais comme des sortes de réserves collectives dont l’Etat peut disposer à son gré. Une logique qui présente l’immense avantage de ne pas l’obliger à tenter sérieusement de stopper la progression de ses dépenses.
En dépit de discours des politiques plaidant, le cœur sur la main, pour la modération fiscale, dénonçant le « ras-le-bol » légitime des Français, la réalité du fonctionnement de l’État français est une recherche frénétique de toutes les façons de soutirer de l’argent. Aux abois, l’État ne se préoccupe plus depuis longtemps du consentement à l’impôt et des effets nocifs sur l’économie de ses prélèvements. La charge est menée par l’administration, qui laisse la lourde tâche de calmer les foules aux politiques, mais œuvre en sous-main pour que toutes les ressources qui peuvent être captées sans tuer tout à fait le pays et créer la révolution puissent l’être. Subtil dosage qui rate parfois, comme nous l’avons vu avec la jacquerie fiscale des gilets jaunes.
Ces prélèvements délirants alimentent l’insatiable Moloch étatique. Il n’en aura jamais assez, puisque sa vocation est de s’étendre toujours plus, de vouloir « faire » toujours plus. Fût-ce au prix de toutes les spoliations et de l’inutilité la plus criante. L’Etat ferait mieux d’écouter les conseils de Vauban à Louis XIV : « Sire, l’argent le mieux employé c’est celui qui reste entre les mains du peuple. »