« Nous avons compris que ces vieilles pierres étaient une partie de nous, et constituaient ce qu’il faut bien appeler d’un mot miné à force de relativisme et d’autodépréciation masochiste : une identité »
Post tenebras spero lucem, « après les ténèbres, j’espère la lumière », est-il écrit dans le Livre de Job. Notre-Dame en flammes, l’effondrement de la flèche, la perte irrémédiable de certains trésors multiséculaires : ces images de cauchemar ont trouvé un début de consolation dans la remarquable unanimité des témoignages de soutien qui les ont accompagnées. Ce sont depuis lundi des millions de personnes qui communient dans la douleur de voir sévèrement abîmé ce trésor national. L’incendie pourra aussi être, si nous le voulons, un puissant fanal. Il livre trois grands enseignements, à l’image de ces « leçons de ténèbres » traditionnellement chantées au XVIIIe siècle lors de la semaine sainte, où l’extinction progressive des lumières annonçait la renaissance de l’espoir, au beau milieu d’une obscurité où tout semblait perdu.
Première leçon : après la division violente de ces derniers mois qui a notamment abîmé un monument emblématique comme l’Arc de triomphe, il est peut-être possible de sceller à nouveau notre unité sur les décombres de la toiture de Notre-Dame. Ironie de l’histoire, c’est au moment où le président de la République allait tenter tant bien que mal de redonner une cohérence à l’extrême diversité et aux contradictions des revendications des Français que cet incendie inouï a indiqué de façon spectaculaire la meilleure façon d’y parvenir. Croyants ou non, nous avons reconnu la place de cet héritage d’une époque qui nous est étrangère à bien des égards, mais dont nous reconnaissons l’importance dans le chemin de notre civilisation. Nous avons compris que ces vieilles pierres étaient une partie de nous, et constituaient ce qu’il faut bien appeler d’un mot miné à force de relativisme et d’autodépréciation masochiste : une identité.
La destruction de Notre-Dame fait irrésistiblement écho à celles des Bouddhas de Bâmiyân ou de Palmyre : effacer les traces d’un passé non conforme à l’orthodoxie du moment, c’est tenter d’éviter la réalité gênante de la diversité des croyances à travers les âges et les pays, et de nier la nécessité de l’ouverture à la différence
La deuxième leçon est la prise de conscience de l’urgence d’agir plus fort et plus vite pour la sauvegarde de notre patrimoine. L’effondrement spectaculaire de la voûte du chœur cache la déliquescence progressive moins visible de tant de trésors nationaux. Au-delà de la méritoire mais insuffisante loterie organisée sous le patronage de Stéphane Bern, c’est la politique culturelle qu’il faudrait réformer. Marc Fumaroli écrivait ainsi : « Le grand reproche que l’on peut adresser à ce que l’on appelle « politique culturelle » en France, c’est de pousser l’Etat à préférer, par un souci obsessionnel d’“image”, des interventions spectaculaires et coûteuses dans des domaines où beaucoup de choses pourraient fort bien se défendre toutes seules. […] La politique culturelle pousse l’Etat à se montrer moins empressé et dispendieux dans les domaines où il est vraiment seul à pouvoir intervenir dans l’intérêt de tous, sans tenir compte de la rentabilité immédiate. C’est cette dérive qu’il importe de corriger. »
La troisième leçon n’est pas la plus agréable : les expressions dissonantes d’indifférence voire de réjouissance qui ont pu être entendues sur les réseaux sociaux montrent assez que certains ne se reconnaissent pas dans cet héritage. En ce sens, la destruction de Notre-Dame fait irrésistiblement écho à celles des Bouddhas de Bâmiyân ou de Palmyre : effacer les traces d’un passé non conforme à l’orthodoxie du moment, c’est tenter d’éviter la réalité gênante de la diversité des croyances à travers les âges et les pays, et de nier la nécessité de l’ouverture à la différence. Réaffirmer notre attachement à ce passé commun, c’est aussi formuler le message contemporain si nécessaire d’un refus de l’intolérance et de toutes les formes de fondamentalisme comme élément non négociable de notre contrat social.