En finir avec la propagande anti-entreprise

C’est un panneau préparé avec soin et placé à la sortie d’un petit village du Lot-et-Garonne. Un slogan y est inscrit en grosses lettres rouges : « Plus de fonctionnaires, moins d’actionnaires ». Pas un tag déposé en hâte à la faveur d’une obscurité complice, mais un programme assumé dont l’auteur est visiblement fier et dont l’évidence est censée frapper l’automobiliste. Ce panneau dit beaucoup de la profonde confusion économique qui règne dans l’esprit de nombre de nos concitoyens dont les propositions du grand débat avaient déjà donné un aperçu. Au-delà de la séduction d’une rime riche, certes du plus bel effet, quel raisonnement peut conduire à opposer les deux termes ? Il s’agit d’une double incompréhension touchant au fonctionnement de l’entreprise et à celui de l’Etat.

L’actionnaire est accusé implicitement d’être une sorte de rentier dont les dividendes sont volés au travailleur. Chacun, pourtant, peut choisir d’être actionnaire et la France fait partie des pays d’Europe où l’actionnariat salarié est le plus développé, avec 3,2 millions de personnes détenant des parts de leur entreprise. A propos des dividendes, on ne dira jamais assez le mal causé par cette escroquerie intellectuelle absolue diffusée par une officine militante qu’il est inutile de citer concernant la répartition des bénéfices entre actionnaires et salariés. En excluant les salaires du calcul de la valeur ajoutée, ils ont fondé leur raisonnement sur des bases qui n’ont pas de sens. La réalité heureusement rétablie par les commentateurs sérieux est que la part des salaires dans la valeur ajoutée est stable en France depuis 1949 (elle a même augmenté de deux points par rapport à 2010) et que la France est le pays de l’Union où elle est la plus élevée.

Condamner les dividendes, c’est aussi ignorer que les entreprises ne peuvent se développer, conquérir des marchés et naturellement embaucher que parce qu’elles parviennent à se financer. Or les actions font partie de la panoplie des moyens de financement auxquels les entreprises ont recours. Ne pas rémunérer cet apport en capital sous forme de dividendes ou d’appréciation du cours, c’est risquer d’être dans l’incapacité de trouver les moyens de grandir.

Opposer actionnaires et fonctionnaires, c’est également ne pas comprendre l’étroite complémentarité qui lie moyens publics et prospérité des entreprises. L’Etat n’a pas d’autres ressources, si l’on fait abstraction de l’emprunt, que celles qu’il prélève sur les ménages et les entreprises. Plus grave encore, l’idée que les fonctionnaires ne pourront être plus nombreux que s’il y a moins d’actionnaires suppose une relation inverse entre les deux ! En quoi le développement des entreprises serait-il la cause de la disparition des services publics ? N’est-ce pas plutôt la désindustrialisation massive (avec une part de l’industrie dans le PIB qui a été divisée par 2,5 depuis 1970) qui a provoqué la désertification territoriale et a conduit l’Etat à se retirer ?

Les slogans de nos campagnes reflètent l’efficacité de la propagande anti-entreprise qui sévit chez nous. Obsédés par la lutte des classes, persuadés que l’économie est un jeu à somme nulle où la richesse des uns ne vient que de l’appauvrissement des autres, assimilant dogmatiquement fonction publique et service rendu au public, nos idéologues rêvent de prélever toujours plus d’impôts sur des entreprises dont par ailleurs ils souhaitent la disparition. L’incohérence est leur moindre défaut. Un si joli panneau, en somme, qui concentre en quelques mots tout le drame français : mépris des principales créatrices de valeurs que sont les entreprises, opposition binaire entre service public et marché magnifiant par défaut l’un et dévalorisant l’autre, pensée magique faisant de l’Etat une entité supranaturelle productrice de richesse à elle seule… « Plus de fonctionnaires, moins d’actionnaires », c’est hélas plus qu’un slogan : une description très précise du programme concret appliqué par la France depuis des décennies. Sans qu’à l’évidence il ne la transforme en pays de Cocagne. Multiplions au contraire les actionnaires, si nous voulons donner à l’Etat les moyens dont il a besoin.


Publié dans les Echos

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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