MMT : un timing parfait
La théorie monétaire moderne (MMT) a émergé à la suite de la crise de 2008 incarnée par Stéphanie Kelton, University qui l’a théorisée dans son livre « the Deficit Myth : the Modern Monetary Theory and the Birth of people’s Economy » (2020). Un timing parfait puisque la politique monétaire prenait un tournant historique : l’entrée dans l’ère des politiques monétaires non conventionnelles, l’abandon du monétarisme et avec lui de l’idée qu’une banque centrale indépendante devait veiller à la neutralité monétaire pour accompagner la croissance. L’idée centrale soutenue par la MMT est la capacité de l’Etat à dépenser sans limite en raison de sa souveraineté monétaire. En somme, dans le système monétaire actuel de monnaie fiat, l’Etat n’a soumis à aucune contrainte financière puisqu’il peut financer son déficit en le monétisant auprès de la banque centrale. L’objectif de la dépense publique est celui d’assurer le plein emploi. Ces recommandations tombent à point nommé. Les gouvernements dans l’ensemble des pays de l’OCDE ont tendanciellement augmenté leurs dépenses publiques récemment pour faire face à la crise financière de 2008, la crise de la dette souveraine Européenne et celle du COVID … autant d’opportunités pour justifier leur hausse
En France, un accueil plus que chaleureux est réservé à la MMT. Au pays où l’Etat était en partie financé gratuitement par la Banque de France jusqu ‘en 1993, il n’en fallait pas davantage pour relancer l’idée d’une dépense publique débridée et monétisée par la banque centrale: c’est l’ère nouveau de l’argent magique même si sa faisabilité est loin d’être évidente du fait de l’appartenance de la France à l’Euro. En outre, selon la MMT, la seule limite à la dépense publique est l’inflation et l’inflation semble avoir disparu depuis la dernière grande crise financière. Dans ces circonstances, la MMT ne pouvait tomber plus à pic.
Sans revendiquer d’affiliation particulière, la MMT conforte les préconisations keynésiennes de dépenses publiques pour atteindre l’objectif de plein emploi. Dans la théorie keynésienne, la politique fiscale combinée à une politique monétaire accommodante permet de maximiser l’effet multiplicateur de la dépense publique. La MMT s’inscrit bien dans le courant keynésien même si les critiques de la part d’économistes post Keynésiens sont nombreuses. En outre, la MMT n’est pas une nouvelle théorie monétaire puisque c’est la domination fiscale de la politique monétaire, elle reprend à son compte les analyses de la finance fonctionnelle conceptualisée par Abba Lerner (1943) qui postule que l’Etat n’est soumis à aucune contrainte financière en raison de son pouvoir exclusif de battre monnaie. Néanmoins ce n’est pas parce que l’Etat dispose d’une monnaie à cours légal qu’il peut en émettre sans limite.
Les recommandations de la MMT
La MMT revisite la question des déficits publics en défendant l’idée que l’Etat n’est pas un agent économique comme les autres dans la mesure où il n’est pas soumis aux mêmes contraintes. En finance, le taux de rendement des obligations souveraines est en effet considéré comme sans risque. Souvent l’explication du taux sans risque est basée sur le fait que l’état peut exercer la coercition en matière fiscale afin de combler son déficit. La MMT va plus loin en soulignant que l’Etat peut tout simplement utiliser l’arme monétaire et s’extraire de toute contrainte. Comme la monnaie n’est plus une marchandise, il suffit à la banque centrale par un jeu d’écriture d’accorder des lignes de crédit au gouvernement. En d’autres termes, l’Etat aurait une autorisation de découvert illimitée auprès de la banque centrale dans l’objectif simple d’arriver au plein emploi quitte à fabriquer des emplois non viables économiquement. La souveraineté monétaire est une condition nécessaire et indispensable pour qu’une telle politique soit applicable. Elle n’est donc pas viable dans les pays dollarisés officiellement ou de fait, pas plus qu’en zone Euro ou bien encore dans les pays où la dette est libellée en monnaie étrangère. En effet, en zone Euro, la monétisation du déficit est interdite par l’article du 123 paragraphe 1 du TFUE et même si aujourd’hui le Quantitative Easing s’apparente à monétiser la dette, c’est seulement une partie du déficit qui l’est à travers le programme de rachat de dettes des pays membres. Pour les pays qui émettent une dette en dollars, la monétisation de la dette libellée en monnaie locale a une incidence sur le rendement auquel la dette extérieure est émise et se traduit par une hausse systématique de son rendement. La capacité de monétiser le déficit par la banque centrale repose sur deux hypothèses fortes pour les défenseurs de la MMT :
- Accorder des crédits à l’Etat n’est pas un problème puisque ces avances seront remboursées/renouvellées.
- On retrouve un principe important de la théorie keynésienne : celui du multiplicateur des dépenses publiques selon lequel la dépense initiale est auto-financée par les recettes générées. Néanmoins dans la MMT le remboursement de la dette est un non sujet puisque l’Etat peut en permanence tirer sur sa ligne de crédit auprès de la banque centrale. Il n’y a pas de place pour une dette qui serait passée aux générations futures puisque le tirage illimité de la ligne de crédit garantit l’équilibre
Comme dans la théorie générale de Keynes, la préconisation de monétisation de la dette est faite pour des économies en sous-emploi sinon l’inflation viendrait annuler les effets positifs.
A supposer que l’économie est en sous-emploi et que les préconisations de la MMT soient suivies, est-il certain que le blanc saint donné au gouvernement en matière de dépenses publiques résolve le problème initial du plein emploi ? La MMT n’est-elle pas un conte de fées pour gouvernement en quête d’appui pour continuer à accroître ses dépenses publiques ? L’argent magique n’est-il pas trop beau pour être vrai ?
La MMT basée sur des identités comptables…
La critique adressée à la MMT est celle d’une analyse basée sur des identités macroéconomiques comptables ex-post qui ne repose pas sur une théorie articulée. Le cadre de référence est identique à celui de la théorie keynésienne basée sur les flux circulaires. Comme le notent Prinz et Beck (2021)[1], MMT se base sur l’identité comptable ex-post selon laquelle le revenu national est égal à la consommation du secteur privé C et les dépenses publiques G : Y = C + G. Un Etat souverain monétairement finance son déficit en le monétisant : G -T = D M avec D M la variation de la masse monétaire par rapport à la période précédente. Le revenu disponible Yd des ménages est égal à Y – T avec T, les revenus fiscaux de l’Etat. Ainsi
G – T = Yd – C = S = D M
Le déficit du gouvernement, l’épargne et la création monétaire sont ici égaux en vertu des flux circulaires. En aucun cas, ces égalités ne résultent d’une théorie et encore moins d’une théorie monétaire. L’investissement est d’ailleurs absent. Comme dans le modèle keynésien d’origine, le gouvernement dépense à la place du secteur privé pour atteindre le plein emploi. Comme la monnaie créée est égale aux avoirs monétaire détenus par les ménages, le déficit est égal à la variation de stock de monnaie et à l’épargne. L’inflation ne se manifeste que si la demande devient supérieure à l’offre – ce qui n’est pas le cas au départ étant donné l’existence du chômage. Dès lors que des tensions inflationnistes se manifesteraient, l’Etat n’aurait qu’à augmenter le taux d’imposition pour diminuer l’offre de monnaie. En réalité, la MMT n’est basée sur aucune théorie monétaire. L’offre de monnaie n’est pas prise dans sa globalité puisqu’il n’y a pas de place pour le secteur bancaire. Il n’y a aucun rôle laissé aux agents économiques, les anticipations d’inflation ou du taux d’imposition étant absentes. La démonstration de la MMT ne repose que sur des identités comptables ex-post des comptes nationaux qui n’impliquent aucune relation causale. La MMT en donne une interprétation mécanique, déterministe et simpliste. Or, la complexité de l’économie est depuis longtemps présente en macroéconomie. Dans la MMT, il n’y a pas de place pour la prise de décision des ménages.
… négligeant du système bancaire et des prix relatifs…
La MMT ne prend pas en compte les effets induits par la monnaie créée pour financer le déficit. En effet, si les dépenses publiques génèrent des revenus supplémentaires, elles vont se traduire par une augmentation des dépôts bancaires et des réserves excédentaires. Sans entrer dans la querelle au sujet de l’existence de multiplicateur de dépôts, cet afflux de liquidités peut engendrer une augmentation des crédits accordés par les banques si leur profitabilité anticipée est attractive. La monnaie créée initialement pour financer le déficit va engendrer une augmentation endogène de l’offre de monnaie qui n’est pas prise en compte dans la MMT. Celle-ci peut accélérer l’accroissement de la demande et le développement de l’inflation. La MMT raisonne comme si la monnaie crée par la banque centrale n’avait pas d’incidence sur le système bancaire et sous-estime ainsi les potentiels effets inflationnistes de la monétisation du déficit. Le niveau des prix n’est pas pris en compte.
Le cadre théorique de la MMT n’intègre pas plus l’investissement, ni la structure de production. La dimension temporelle de la structure de production n’est pas prise en compte puisqu’il n’y a pas d’investissement, l’épargne n’est pas une consommation reportée mais reflète les avoirs monétaires détenus par les ménages. Le marché des fonds prêtables n’existe pas, pas plus que le taux d’intérêt . C’est donc une simplification extrême de l’économie surtout quand on sait aujourd’hui la place que jouent les marchés financiers. Les modèles macroéconomiques ont longtemps souffert de l’absence d’intégration des marchés financiers ce qui ne leur permet pas d’appréhender la complexité des canaux de transmission des politiques économiques, en particulier celui de la politique monétaire. La MMT ignore les effets des dépenses publiques sur la structure de production. Comme l’a montré Hayek dans Prix et Production (1933), l’accroissement des dépenses publiques (même chose si les dépenses étaient privées) grâce l’émission monétaire additionnelle aura un impact sur les prix relatifs puisqu’elle va augmenter la demande dans certains secteurs par rapport à d’autres. Une augmentation de l’offre de monnaie s’accompagne d’une baisse du taux d’intérêt qui favorise les activités de production en amont. La structure de production s’allonge même si les effets sur la structure de production dépendent du point d’entrée des dépenses additionnelles conformément aux effets Cantillon (1755). A l’autre bout, les ménages consomment toujours autant voire plus, des tensions sur les prix apparaissent ce qui préfigure d’une inflation future. Il est vrai que depuis 30 ans l’inflation ne fait plus partie de nos habitudes malgré une augmentation significative des bilans des banques centrales. Dans un monde globalisé et concurrentiel, les tensions sur les prix sont moins visibles puisque l’inflation des prix à la consommation reste modérée voire même négatives comme lors de la crise des subprimes – même si la déflation a sans doute été moins forte que ce qu’elle aurait pu être. En l’absence d’inflation, les effets des politiques monétaires non conventionnelles peuvent engendrer la zombification de l’économie, c’est-à-dire la survivance d’entreprises économiquement non viables.
En outre, la MMT semble ignorer tous les apports de la théorie des choix publics qui montrent les effets indésirables de la décision publique qui substitue à la décision privée, décision publique sous influence du cycle politique. Comment s’assurer qu’un état lorsqu’il dépense allouera de façon efficace les ressources puisqu’il n’est justement pas soumis à contrainte financière au même titre que toute entité économique privée ? Cette question renvoie au débat plus général sur la planification rendu célèbre par l’affrontement Hayek-Lange en 1936 dans lequel Hayek met en avant le rôle fondamental du prix dans le calcul économique indispensable à l’allocation efficace des ressources. Dans l’approche de la MMT, la dépense publique a comme objectif principale d’éradiquer le chômage. Il est clair que la méthode d’allocation des ressources ressemble davantage à un acte planification et pose donc la question de la soutenabilité des activités économiques dans le temps. Elle pourrait contribuer à la zombification de l’économie.
Pour finir, dans l’approche de la MMT, la dimension internationale de l’économie n’est pas prise en compte. Soit l’Etat a le pouvoir de battre monnaie et de l’imposer par le cours légal mais il n’en demeure pas moins qu’une monétisation systématique des déficits pourraient avoir des impacts sur le taux de change et l’équilibre de la balance courante. Une dépréciation de la monnaie sur le marché des changes pourrait désavantager la position des entreprises locales sur les marchés internationaux mais également dégrader leur capacité à attirer les investisseurs. Ces considérations ne sont pas du tout prises en compte.
Il est intéressant de noter que la MMT a reçu un accueil positif de la part la classe politique – en particulier Européenne – alors qu’il a été plus critique de la part des économistes dans leur majorité même dans les rangs des économistes post-keynésiens – dont le médiatique Paul Krugmann, à l’exception de certains économistes français enthousiastes à l’idée d’avoir trouvé la justification d’une dépense de l’état illimitée. Il est compréhensible que le politique adhère à cette idée d’argent magique », c’est une recette pour gagner des élections. En revanche, il est surprenant de voir que les économistes ne sont pas unanimement critiques à l’égard d’une approche aussi simpliste de l’économie.
[1] Prinz and Beck, Modern Monetary Theory: a solid Theoretical Economic Foundation of Economic Policy?, Atlantic Economic Journal, May 2021,