En France, les disparités de revenus se doublent d’une réalité plus cruelle encore : celle des inégalités de destin. Dans le classement des pays de l’OCDE, notre pays apparaît à l’avant-dernier rang en termes de mobilité intergénérationnelle. Il faudrait ainsi six générations pour que les descendants de familles modestes atteignent le revenu moyen. Piètre performance pour un pays entiché d’égalité et fier de son lourd système redistributif. La France devrait regarder avec lucidité son incapacité à assurer une perspective de progression sociale et lui apporter d’urgence des solutions.
Le niveau de qualification est fortement corrélé à l’origine sociale : les enfants de cadres et professions intermédiaires ont par exemple 2,5 fois plus de chances que les enfants d’ouvriers ou d’employés d’obtenir un diplôme supérieur à bac+2. Le diplôme ne parvient d’ailleurs pas à neutraliser le poids cette origine : l’écart de revenu entre un enfant de cadre et un enfant d’ouvrier non qualifié s’élève à 1 000 euros par mois. Les conséquences sont dramatiques. Comment vanter le mérite et défendre l’égalité en droits si dans les faits les dés semblent jetés dès la naissance ? La démocratie s’en trouve atteinte dans son principe. A l’heure où les cerveaux deviennent la ressource la plus rare, l’impuissance de notre système à valoriser au mieux le capital humain de la population représente aussi un considérable manque à gagner économique. L’institut Sapiens a estimé ce coût à 10 milliards d’euros pour les finances publiques et à 44 milliards d’euros de richesse nationale par an.
Auto-exclusion. Le système éducatif est bien entendu l’un des grands responsables de ce déterminisme social. Les dysfonctionnements sont nombreux : fléchage du gros de l’investissement public en faveur des plus privilégiés, absence de flexibilité dans le recrutement des enseignants, manque d’expérience et de préparation des enseignants et trop faible accent mis sur la petite enfance. Mais l’école, même réformée, ne suffira jamais. Les études montrent que c’est l’état d’esprit des élèves, des parents et des enseignants qui explique le mieux la réussite ou l’échec des individus, et non des variables telles que le sexe, l’origine ethnique, la qualité de l’enseignement ou le statut social. Le problème, en grande partie, est celui de l’auto-exclusion.
Des associations engagées dans le combat pour l’égalité des chances telles que l’Institut Télémaque obtiennent des résultats remarquables grâce à de nombreuses actions fondées sur l’accompagnement personnalisé. Ces programmes de mentorat et de suivi parviennent à vaincre le manque de confiance en eux des jeunes défavorisés. Ces associations sont peu connues des intéressés : une plateforme numérique qui centraliserait les offres existantes sur le territoire et permettrait la collaboration entre les différents acteurs remédierait à ce déficit d’information.
Pour développer les mentors volontaires, on pourrait imaginer que l’engagement dans la lutte contre le déterminisme social donne accès à une crypto-monnaie dédiée. La création d’une unité d’enseignement « Engagement citoyen et associatif » permettrait aux étudiants de valoriser dans leur cursus le temps consacré aux autres. La défiscalisation des heures de tutorat inciterait les professionnels à donner de leur temps et les entreprises à encourager ce service d’utilité sociale.
Si nous savons être innovants et encourager l’action de la société civile, le déterminisme social pourra cesser d’être une fatalité.