Les médias ou le chaos

 

Le monde dans lequel nous naissions il y a encore vingt ans était simple. Des sources d’information fiables et en nombre limité étaient disponibles. Chaque support de presse, de radio ou de télévision constituait une marque à la promesse propre. Certes les positionnements idéologiques étaient divers. On savait qu’il fallait prendre certains angles cum grano salis, mais dans l’ensemble le sérieux était éprouvé par le temps. On pouvait raisonnablement tenir pour vrai ce qui figurait dans ces médias.

Aujourd’hui, des centaines de milliers d’émetteurs prétendent contribuer à la fabrique de l’information. Mais ce faisant la règle dominante de sélection des informations s’est drastiquement appauvrie : la plus choquante émerge. Démêler le vrai du faux était déjà difficile pour un individu de bonne foi voulant honnêtement s’informer et débattre sur Internet. Mais voici que les technologies de traitement numérique parviennent à contrefaire n’importe quelle voix à partir de quelques minutes d’enregistrement et même à concevoir à partir de photo d’une personne des vidéos entièrement inventées. Demain, il deviendra impossible de prendre un document audiovisuel pour argent comptant. Les deep fake, comme on les appelle, brouillent la frontière entre réalité et invention.

Chaos informationnel. Deux scénarios sont envisageables. Le premier est celui du chaos informationnel. En 1938, la diffusion radiophonique d’une adaptation de La Guerre des Mondes d’Orson Welles avait créé des scènes de paniques aux Etats-Unis. Le hacking de l’information est potentiellement aussi dangereux qu’une attaque militaire : on pourrait envoyer des déclarations de guerre plus vraies que nature. La viralité des nouvelles conçues et diffusées par des puissances étrangères ou des organisations terroristes sera exponentielle. Les élections deviendront d’incroyables feux d’artifice de folles rumeurs à côté desquels la vérité aura la puissance du ver luisant. La tendance des réseaux sociaux à hystériser les échanges sera attisée.

Le second scénario est celui du sursaut. De nouveaux outils de certification des contenus audio, vidéo et écrits doivent émerger. Un dispositif d’authentification des individus doit être systématisé. Mais cela ne suffira pas. La compilation des faits ne fait pas une réalité compréhensible. Le simple choix de ce que l’on montre et de ce que l’on tait est lourd de sens. Contrairement à ce que suggère le nom d’un diffuseur de vidéos à succès, il n’y a pas d’information « brute ». Un intermédiaire reste nécessaire, qui assumera un choix éditorial. C’est la vocation même des médias. Le besoin d’agrégateurs jouant le rôle de sources de confiance devient plus aigu.

Les médias doivent redevenir des labels de qualité qui permettront au lecteur ou au téléspectateur de recevoir les informations comme authentiques. Les consternants dérapages de certains prétendus fact checkers affaiblit grandement cette perspective. La prétention à dire le vrai doit être maniée avec d’infinies précautions, une grande humilité et surtout une absence de parti pris. Trois conditions qui ne sont clairement pas réunies en l’espèce. La rigueur de l’investigation journalistique doit être absolue. Les autorités telles que le CSA devraient mieux sanctionner ces dérives. Il est aussi essentiel de renforcer considérablement l’éthique et la formation des journalistes. Ils doivent moins être sélectionnés sur leurs convictions que sur leur capacité à douter toujours et à n’entrer dans aucune chapelle.


Publié dans l’Opinion

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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