C’est le logiciel le plus utilisé d’une très célèbre suite bureautique. Il permet de faire se succéder des « planches » généralement présentées par vidéoprojection. Il est aujourd’hui l’un des ennemis méconnus des entreprises. Un ennemi de l’intérieurqui a largement colonisé ses salles de réunion et l’emploi du temps de ses employés. Elles devraient avoir le courage d’ouvrir les yeux sur les dérives de ce serviteur devenu tyran.
L’expérience a été vécue par quiconque a un jour travaillé en entreprise : vous assistez à une présentation. La pénombre et le ronronnement du vidéoprojecteur accroissent la somnolence de l’après-repas. Devant l’écran se succèdent en mode stroboscopique des dizaines de lignes de texte et des graphiques commentés sans que personne n’ait le temps de lire. Une noria de « bullet points » se succèdent sous le regard résigné des spectateurs. Personne n’osera révéler ce que tout le monde sait : la projection ne sert à rien.
Brouillard impénétrable
L’outil devient une fin en soi. On oublie le but, qui était de transmettre des informations, de faire réfléchir, de structurer la pensée, pour se concentrer sur ce qui devait simplement être un moyen : une projection et des commentaires. Le processus rationnel est depuis longtemps devenu un rituel vide de sens. Il ne semble pas possible de dire trois mots dans une équipe, aussi simples soient-ils, sans les accompagner de transparents répétant ce qui est dit.
Le gaspillage le plus considérable de temps a lieu avant la présentation elle-même. Quel économiste saura quantifier le coût financier et psychologique de ces milliers d’heures perdues à préparer chaque planche, à en ajuster les textes, à en choisir les dessins et animations censés en agrémenter la lecture ? La projection de transparents bénéficie d’une présomption irréfragable d’efficacité et de rationalité. En réalité elle crée un impénétrable brouillard autour du propos. Elle est à l’image d’une civilisation de la distraction permanente qui ne peut plus passer une minute sans utiliser la médiatisation rassurante des écrans et leur flot ininterrompu de notifications. La sidération du « pauvre point », comme l’appellent les consultants par dérision, est l’exact pendant de celle qui colle chaque individu à son téléphone.
Celui qui fait la présentation est souvent mal à l’aise et adopte la vidéoprojection comme béquille plutôt que comme complément de ses propos. Par peur du trou de mémoire et du blanc embarrassant, certains prennent soin de tout écrire. Au mieux il répète servilement. Au pis, il tient un discours parallèle sans rapport avec le texte écrit. Cherchant à lire tout en écoutant, l’assistance ne retient généralement ni l’un ni l’autre. Le format de la succession des planches brise la continuité narrative et empêche le déroulement d’une réflexion cohérente. Elle favorise la juxtaposition d’idées plutôt que le déroulement d’une démonstration.
Acceptons le fait que la technologie simplifie parfois, mais qu’elle peut aussi masquer et créer de la confusion. Eteignons les vidéoprojecteurs. Remisons les slides. Bannissons les transparents et ses illustrations infantilisantes. Et profitons-en pour interdire aussi les ordinateurs, tablettes et smartphones durant les réunions. Donnons aux managers des cours de prise de parole en public. Cultivons à nouveau les arts oubliés de la dialectique – la capacité à bien raisonner – et de la rhétorique – la capacité à persuader.