A l’avenir, la véritable valeur ajoutée d’un médecin ne résidera pas tant dans sa capacité à réaliser un diagnostic seul dans son cabinet ou à établir une ordonnance, que dans celles à animer un réseau de compétences médicales diverses et intégrées. A ce titre, le projet de loi Rist – prévoyant l’accès direct à certains paramédicaux comme les kinés et les infirmiers en pratique avancée, en élargissant leurs responsabilités – constitue une réelle avancée dans l’accès aux soins sur un territoire.
Alors que certains syndicats y voient la dilution du pouvoir quasi-démiurgique du médecin, force est de constater que ce partage des tâches et des responsabilités constitue au contraire l’avenir de la médecine.
A l’heure où près de 600.000 patients chroniques sont toujours dépourvus d’un médecin traitant, où 30% des malades ne sont pas correctement observants de leur prescription médicale ou alors que les besoins en suivi croissent au même rythme que la hausse du nombre de seniors (+30% d’ici 2060 selon l’INSEE), il est urgent de partager un maximum l’effort entre toutes les personnes formées au soin sur le principe de la subsidiarité.
Ce changement de logique ferait du médecin le responsable d’une chaîne dédiée au soin et à la prévention. Une transformation coïncidant avec la demande de sens des praticiens pour leur activité. Le temps médical libéré serait réalloué aux échanges avec les patients, se faisant malheureusement de plus en plus rares, permettant ainsi de les écouter et leur accorder l’empathie et l’accompagnement qu’ils sont venus chercher afin de les prendre en charge en intégralité, pour optimiser l’efficacité du soin. Cette nouvelle étape de l’évolution de la pratique médicale permettrait aussi de répondre à la demande légitime des médecins de voir leur statut et leurs revenus s’apprécier, en permettant d’augmenter le temps médical utile et le nombre de patients en file active. Dans une pratique médicale renouvelée, les médecins pourraient se diversifier en développant des activités de recherche en soins primaires par exemple pour le suivi et l’évaluation des produits de santé tout au long de leur cycle de vie et pas seulement avant leur commercialisation. Le corollaire de cette organisation serait le passage progressif de la rémunération à l’acte à une rémunération hybride, combinant acte et forfait, afin de gratifier le travail et la responsabilité des médecins à leur juste valeur.
La médecine traditionnelle est déjà fortement concurrencée par les promoteurs d’une médecine dite « complémentaire » dans l’esprit de patients toujours plus sensibles à leurs promesses d’offrir une écoute et une empathie ayant trop souvent disparu de la pratique traditionnelle « à l’acte ». Elle sera également bientôt concurrencée par les IA conversationnelles sur le diagnostic. Tant que l’Assurance maladie et les syndicats n’accepteront pas de changer de logiciel dans leurs négociations conventionnelles, ils ne répondront en rien à ces défis. Au lieu de chercher à augmenter les contraintes d’installation, la puissance publique devrait s’atteler à revoir la formation initiale des professionnels du soin, réaliser un saut quantique en ce qui concerne la délégation de tâches et de responsabilités, revoir le modèle de rémunération, et promouvoir, en l’organisant, la prévention dans toutes ses dimensions. La postérité risque de juger sévèrement ceux qui auront préféré le statu quo à la révolution, au moment où s’écrivait une nouvelle page de la grande Histoire de la médecine.
[1] Appelé le USMLE, pour United States Medical Licensing Examination