L’humanité est au commencement d’une nouvelle ère: celle des neurotechnologies capables de manipuler notre cerveau. Le 28 mars 2017, Elon Musk a annoncé le lancement de Neuralink, une société destinée à augmenter nos capacités cérébrales grâce à de minuscules composants électroniques entrelacés à nos 86 milliards de neurones. Elon Musk se donne cinq ans pour sortir les premiers prototypes Neuralink.
Cette course au neuroenhancement (l' »optimisation cérébrale ») est motivée par sa hantise d’un dépassement de l’homme par l’intelligence artificielle. Les implants de Neuralink ne seront pas au point avant plusieurs années, mais des travaux récents à l’université de Californie du Sud, menés par l’équipe du Dr Dong Song, montrent que l’heure de la manipulation cérébrale a débuté.
La fragile frontière entre « humanité réparée » et « humanité augmentée »
Les chercheurs ont testé des patients atteints d’épilepsie déjà équipés d’implants cérébraux pour traiter les crises qui résistent aux médicaments. Le dispositif intracérébral a été réorienté vers les zones impliquées dans la mémorisation. En délivrant des impulsions électriques ciblées, les scientifiques sont parvenus à augmenter de 30% la mémoire des patients.
Le Dr Song parle d’une véritable « prothèse de la mémoire » et l’essai ouvre ainsi des perspectives dans le traitement des troubles comme Alzheimer. L’expérience pourrait permettre de nombreuses manipulations neuronales. Ces transgressions scientifiques conduiront à des oppositions violentes -et légitimes- entre les bioconservateurs et les candidats aux bénéfices des avancées de la science.
De l’homme « réparé » à l’homme « augmenté », il n’y a qu’un pas, qui sera inévitablement franchi. La neuroéthique, qui commence juste à se structurer, deviendra un sujet majeur pour les responsables politiques au cours du XXIe siècle. Et l’on voit en passant que la distinction « humanité réparée » et « humanité augmentée » est bien fragile.
L’élite médicale prête à suivre les transhumanistes
Va-t-on légiférer pour interdire que les épileptiques dotés d’implants bénéficient de capacités cognitives supérieures au reste de la population? La réponse saute aux yeux: on franchira le Rubicon séparant la réparation de l’augmentation sans le moindre état d’âme. Doit-on obliger les porteurs d’implants cérébraux à les déclarer avant un concours? Doit-on diminuer leurs notes pour rendre la compétition égale? Faut-il bloquer les implants pendant le mois précédant les examens au risque de voir les étudiants épileptiques faire une crise en pleine épreuve?
Comme l’explique Nicolas Bouzou, la fin du travail n’est pas pour demain. Nous découvrons de nouveaux métiers: neuroéthicien des examens en fait partie. L’évolution philosophique du Pr Alim-Louis Benabid, inventeur des implants intracérébraux pour traiter la maladie de Parkinson, est spectaculaire. Opposé à l’augmentation cérébrale depuis toujours, il a confié avoir basculé. « Mon attitude a changé. Au début, je disais: ‘Il ne faut absolument pas faire ça.’ On n’est pas tous intelligents de la même façon. En quoi une stimulation du cerveau serait-elle gênante? A-t-on peur de rendre l’autre plus intelligent? de propulser le QI? »
L’élite médicale est déjà prête à suivre les transhumanistes. Par ricochet, le bioconservateur Jean-Marie Le Méné, défenseur des trisomiques 21, sera confronté à un dilemme moral. Faut-il utiliser les neurotechnologies des transhumanistes pour réduire les handicaps cognitifs des trisomiques, ce qui diminuerait probablement le taux d’interruptions médicales de grossesse (IMG)? Aujourd’hui, en Europe de l’Ouest, 96% des diagnostics prénataux de trisomie 21 sont, selon ce dernier, suivis d’une IMG.