Oublier les 3% oui, mais pas la règle

La cible d’un déficit public à 3% est une règle taboue élevée au rang de totem, qui a été très souvent décriée par de nombreux élus toujours prompts à dépenser des deniers qui ne leur appartiennent pas. Souvent taxée de cible injustifiée, de règle impertinente, ou encore d’absurdité économique, elle est maintenant pointée du doigt par le président de la République qui y voit une règle anachronique datant du siècle dernier qu’il faudrait absolument oubliée.

Initiée en 1992 par le traité de Maastricht, la cible d’un déficit public de 3% du PIB avait comme objectif initial d’opérer une convergence des économies européennes vers des standards budgétaires communs et ainsi réduire drastiquement leur risque de déficit excessif. Ce niveau de 3% est souvent présenté comme ayant été défini arbitrairement sur un coin de table par François Mitterrand et Helmut Kohl, qui cherchaient alors une cible claire et simple à présenter à l’opinion publique. Si il demeure beaucoup de fantasmes autour de la genèse de cette cible, il se trouve par un merveilleux hasard mathématique que l’objectif de 3% correspond au niveau de déficit économique stabilisant mécaniquement la dette publique à 60% du PIB – seuil jugé acceptable car minimisant le risque de surendettement – dans le contexte d’une inflation à 2% (qui est la cible politique de la Banque Centrale Européenne) et d’un taux de croissance annuel de 3%.

Si cette règle est en effet un héritage du siècle dernier et qu’elle repose sur des hypothèses d’inflation et de croissance peu crédibles aujourd’hui, rappelons que la France est le pays ayant le plus fustigé cette cible de déficit mais également celui qui l’a moins respecté ces dernières années : seulement 6 budgets exécutés depuis 1992 ont présenté un déficit inférieur à 3%. Un laxisme budgétaire qui s’explique principalement par la non-application à aucun Etat des sanctions prévues en cas de procédure de déficit excessif. Or une règle n’a de pouvoir coercitif que si la sanction est crédible et est appliquée.

Si l’on peut effectivement remettre en cause la cible de 3%, il ne faut en revanche pas remettre en cause l’idée même de règle commune sur la bonne gestion des finances publiques. Vouloir s’en affranchir, c’est prendre le risque de voir des exécutifs ouvrir en grand les vannes budgétaires, pour développer des politiques conjoncturelles assurant de forts dividendes électoraux immédiats. Or un Etat qui réaliserait un déficit public trop important, verrait sa dette publique et son risque potentiel de défaut augmenter fortement et pourrait ainsi entraîner tous les pays de la zone euro, solidaires par la monnaie, dans une crise systémique qui pénaliserait même les bons élèves budgétaires.

Pour garantir la stabilité budgétaire au sein de la zone euro et de l’Union Européenne, la règle des 3% doit être remplacée par une nouvelle règle budgétaire.

La première solution consisterait à mettre en place une véritable règle d’or, telle qu’elle a été définie par l’économiste libéral Paul Leroy-Beaulieu en 1891 dans son Traité de la science des finances, qui préconisait que les dépenses de fonctionnement devaient être financées par l’impôt, et les investissements publics par le déficit. Dans ce cadre, un gouvernement ne peut donc recourir à la dette publique que pour financer les dépenses de long terme, celles qui préparent l’avenir et non celles de très court terme qui ne concernent que le présent.

L’autre solution consisterait à confier la décision de la règle au Parlement et à la Commission Européenne, qui seraient alors chargés, à l’aube de leur mandat, de fixer la cible de déficit pour les 5 années à venir, en accord avec leur mandat politique. Concrètement, cela signifie que l’Union Européenne fixerait des objectifs économiques à poursuivre au niveau communautaire sur un quinquennat, que ce soit en termes de transition écologique, de formation des citoyens ou encore de transition digitale et que les dépenses et investissements des Etats poursuivant ces buts seront alors retirées du calcul de leur déficit public. Le reste des dépenses publiques ne devrait alors dans ce cas, être supérieures aux recettes publiques.

Ces solutions pourraient être des pistes pour conserver une règle commune empêchant des gouvernants d’utiliser les finances publiques pour servir leur propre agenda politique, sans amputer notre capacité à investir et à préparer l’avenir. Elle permettrait aussi d’offrir une cible de long terme à nos élus en la faisant primer sur le très court terme. Un changement de paradigme qui pourrait changer l’horizon temporel de nos débats politiques et redonnerait un sens politique à l’Union Européenne. Deux choses dont nous manquons cruellement actuellement.


Publié dans les Echos

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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