Dialogue entre Demeter (déesse de la terre) et Eole (dieu du vent) : « Zeus nous met au défi de lui prouver qui est le plus fort de nous deux. » – Eole : « je vais créer un outil qui fait du bien et que tout le monde considèrera comme parfait ; les éoliennes. » – Demeter: « tu ne peux pas, ça va détruire la Terre, c’est une hybris (provocation des dieux), tu vas créer une chimère qui sous ses airs charmants, va épuiser les ressources de la Terre. » – Eole : « peu importe, personne ne s’en rendra compte, pas même Zeus qui n’y verra qu’un cadeau somptueux que je fais aux hommes. »
Les éoliennes sont effectivement un magnifique outil de production d’électricité : le vent est gratuit et leurs mats plantés à plus de 150 mètres de haut sont autant de manifestations éclatantes de la transition écologique. Aucun doute donc que ces installations de productions d’électricité (IPE) trouveront une adhésion forte auprès des populations. Et pourtant…
Selon EDF, en 2017, les éoliennes représentaient 4,5 % de la production d’électricité en France avec 24 TWh. Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit de renforcer la part des énergies renouvelables pour doubler leur capacité installée en 2028 par rapport à 2017. Bonne nouvelle, nous aurons donc au moins le double des éoliennes présentes sur le territoire d’ici à 2028. Ce même projet de programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit également une « décroissance du parc nucléaire dans des conditions réalistes. » Les dés sont jetés : le clocher éolien est préférable à la cathédrale nucléaire.
À y regarder de plus près, on peut cependant s’étonner de la marche forcée imposée par les règlementations successives pour convertir le monde à l’éolien. En effet, si l’on parle beaucoup de l’avenir (du traitement) des déchets nucléaires, rien – ou très peu – n’est dit sur le fait, par exemple, que les immenses socles de bétons de chaque mât d’éolienne seront laissés en place à l’issue de l’exploitation du parc éolien[1]. Ainsi, environ 4 à 600 m3 de béton seront laissés sur site à l’issue de l’exploitation, au risque de perturber les fonctions naturelles des sols et d’aggraver notamment l’imperméabilisation des sols. Rien n’est dit non plus (ou très peu) sur l’utilisation des terres rares dans les éoliennes, pas plus que sur la quasi impossibilité de recycler les pales d’éoliennes.
Toute remise en cause de l’éolien est manifestement insupportable puisqu’il conduit le pouvoir réglementaire à limiter les moyens d’action de ceux qui – honte à eux – auraient des raisons de s’opposer à tel ou tel projet. C’est ainsi que, par un décret en date du 29 novembre 2018[2], il a été décidé de supprimer une voie de recours contre les éoliennes en confiant leur contentieux en premier et dernier ressort aux seules Cours administratives d’appel. En d’autres termes, ce décret a littéralement supprimé une juridiction compétente en matière d’éoliennes (les tribunaux administratifs) : une seule juridiction statuera désormais sur les projets éoliens, là où deux juridictions le faisaient jusqu’alors. Les requérants ont alors perdu la possibilité de faire juger un dossier éolien par un deuxième juge.
C’est dans cette même logique que le même décret du 29 novembre 2018 prévoit la « cristallisation des moyens » : il n’est désormais plus possible aux requérants (s’attaquant à un projet éolien) de faire valoir un nouvel argument au-delà du délai de deux mois après la communication du premier mémoire à la juridiction administrative[3]. Voilà donc un nouvel outil pour réduire les voix qui oseraient s’élever contre les projets éoliens en France.
A l’heure où le taux de recours contre les projets éoliens est passés de 25 % à 70 % en quelques années[4], on appréciera la tentative de mise au silence des opposants à cette énergie dite renouvelable…
À une époque où le développement durable a tant le vent en poupe, ne serait-il pas opportun de poser un débat clair et apaisé sur les conséquences de nos politiques énergétiques ? Ne serait-il pas opportun de nous interroger sur le coût environnemental global de telle ou telle solution de production d’électricité ?
Il serait ainsi intéressant par exemple de confronter le caractère effectivement recyclable des éoliennes (avec leur utilisation de terres rares pour les aimants de la turbine, la composition des pales en fibre difficilement recyclables et les socles des éoliennes qui ont vocation à rester après le démantèlement des installations) avec l’avenir des déchets nucléaires. Ainsi, nous apprenons que le Prix Nobel de physique 2018, Gérard Mourou travaille sur la transmutation de déchets radioactifs par laser de haute puissance qui vise à transformer les éléments radioactifs à vie longue en éléments radioactifs à vie plus courte[5]. Nous aurions alors peut-être une vision globale du coût effectif global pour l’environnement de chaque moyen de production d’électricité. La prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit notamment de renforcer les obligations de recyclage et de traitement des éoliennes en fin de vie, on ne peut que s’en réjouir.
Une fois de plus, les nécessaires réflexions portant sur l’avenir de l’Homme et notamment sur la production d’énergie dont il a besoin, requièrent des débats apaisés mais éclairés. C’est probablement la raison pour laquelle, tout en mettant en avant le développement des énergies renouvelables, le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit :
« En l’état actuel des connaissances, il n’est toutefois pas possible de déterminer avec certitude la technologie de production d’électricité qui sera la plus compétitive pour remplacer le parc nucléaire existant au-delà de 2035, entre le nucléaire et les énergies renouvelables couplées au stockage et d’autres solutions de flexibilité. La France doit donc conserver une capacité industrielle de construction de nouveaux réacteurs nucléaires pour les enjeux de souveraineté[6]. »
Le nucléaire est donc mis au ban tout en étant conservé car nul ne sait encore comment assurer l’indépendance énergétique de la France sans cette énergie…
En conclusion, nous ne pouvons que saluer les moyens mis en œuvre pour assurer le mix énergétique qui consiste à diversifier les moyens de productions d’énergie. Il en va notamment de la vitale indépendance énergétique de la France. En revanche, rien ne peut se faire à marche forcée, en imposant – parfois – des vues qui ne sont pas fondées sur les trois piliers sociaux, environnementaux et économiques du développement durable. Il est indispensable d’avoir un débat apaisé et dépassionné : le dogme n’est pas une ligne de conduite ; c’est un chemin sans issue. Entre les différents enjeux environnementaux et notamment la gestion des déchets, il faut qu’Eole et Demeter sortent tous deux gagnants du défit proposé par Zeus.
[1]Article R.515-106 du code de l’environnement et Arrêté du 26 août 2011 « relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent » NOR DEVP1120019A
[2]Décret n°2018-1054 du 19 novembre 2018 « relatif aux éoliennes terrestres, à l’autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l’environnement », modifiant l’article R.311-5 du code de justice administrative
[3]Article R.611-7-2 du code de justice administratif, créé par le décret du 29 novembre 2018
[4]Source : Fabien Bouglé in « Eoliennes, la face noire de la transition écologique »
[5]https://www.andra.fr/la-transmutation-de-dechets-radioactifs-par-laser-de-haute-puissance-le-defi-de-gerard-mourou
[6]https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.11.27_MTES_dp_PPE_SNBC_stategiefrancaiseenergieclimat.pdf