Après d’éprouvants mois de grève, voilà que notre système d’enseignement doit faire face à plusieurs semaines de fermeture. De la maternelle à l’université, le calendrier compliqué des cours, examens et concours est balayé. On espérait une année 2020 d’apaisement et de retour à la normale, quatre mois auront suffi à en faire une année d’historiques bouleversements. Une épreuve qui peut aussi constituer un réveil salutaire.
« Ce ne sont pas des vacances étendues », a souligné le ministre Jean-Michel Blanquer en commentant la fermeture des établissements, « une continuité pédagogique à distance » va être mise en place. Quel dommage que l’école n’ait pas progressé plus tôt vers de tels outils ! Souvenons-nous que crisis signifie « jugement » en grec ancien. La crise est ce moment où les choix sont mis à l’épreuve, où les stratégies révèlent leurs faiblesses, où l’on discerne mieux les chemins empruntés.
Le diagnostic est trop connu : le classement PISA nous rappelle régulièrement les piètres résultats de notre système éducatif. Seulement 9,2% des élèves sont performants en lecture. La France se classe parmi les pays de l’OCDE entre la 20e et la 26e place en ce qui concerne la compréhension de l’écrit. Elle est à la 25e place en mathématiques. Le système français se caractérise par une forte inégalité sociale : 107 points séparent en moyenne les élèves des milieux favorisés et ceux des milieux défavorisés. L’effet du système sur la réduction des inégalités est nul, voire négatif : il vient cristalliser et légitimer ces inégalités.
Cette sous-performance est sans doute liée à des dépenses par élèves inférieures à la plupart de nos voisins. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le primaire : en 2017, la France allouait 1,2% de son PIB au primaire, alors que des pays comme la Corée du Sud ou la Pologne dépensaient respectivement 1,7 et 1,6% de la richesse créée pour ce moment essentiel des premiers apprentissages. Il est indispensable de restaurer l’attractivité perdue du métier d’enseignant. La revalorisation récemment annoncée de leurs salaires doit se poursuivre et s’amplifier. Mais il faut également leur donner les moyens de mieux travailler. Faire confiance aux enseignants en leur donnant plus d’autonomie sur la pédagogie et les contenus serait un premier axe de réforme. Le second serait de porter avec eux une révolution des méthodes. A l’ère de la révolution de l’information, le renforcement du capital cognitif des travailleurs et des citoyens devient urgent. La soif de savoir et l’autonomie dans l’apprentissage seront nécessaires tout au long de la vie. L’enseignement traditionnel ne favorise ni l’une ni l’autre. Les technologies numériques, qui ont encore peu pénétré les salles de classe, représentent une opportunité formidable pour en finir avec ces temps toujours trop longs où les groupes d’élèves reçoivent passivement les savoirs. Les outils numériques peuvent permettre, y compris au niveau universitaire, d’acquérir les éléments fondamentaux d’une matière, de vérifier les lacunes, d’aider à la mémorisation. Les progrès de l’intelligence artificielle couplés à ceux des sciences cognitives doivent y aider. Le temps en classe peut alors être utilisé pour la mise en perspective des savoirs, l’indication des liens entre disciplines, la discussion et le travail en équipes.
La fermeture prolongée des établissements rend nécessaire le recours massif aux pratiques d’enseignement à distance. C’est, en un sens, une chance qu’il ne faut pas laisser passer. Au moment précis où j’écris ces lignes, je reçois un message d’une université où j’officie : « nous allons mettre en place dans le courant de la semaine prochaine, un enseignement à distance sous la forme de classes virtuelles (en visio-conférence) aux dates et heures prévues initialement. » Si ces cours s’avèrent utiles, ne pourra-t-on imaginer qu’ils remplacent une partie des séances traditionnelles, sans les répliquer, mais en proposant une approche différente ? On pourrait rêver de rendre plus rares les ennuyeux cours d’amphithéâtre où des élèves recopient servilement un manuel, et faire du face-à-face avec le professeur un moment de synthèse plus inspirant.
Il faudra capitaliser sur ces habitudes prises durant quelques semaines et en faire le tremplin vers d’autres pratiques. C’est l’occasion pour les enseignants et les élèves de tester des outils et de tenter des choses innovantes. Faisons de l’adversité du virus l’aiguillon de notre modernisation.