Avec ses spectacles de masse, ses clubs puissants et des enjeux financiers et politiques colossaux, Rome inventa le stade moderne. Au-delà de sa taille, encore inégalée, la modernité de Circus Maximus résida dans sa finalité. Pendant plus de 1 000 ans, de -599 av. J.-C. à la dernière course qui y fut courue en 549, il témoigna de la puissance de Rome. Il fut un espace majeur d’influence au sein duquel le sport servait aussi d’instrument politique et économique et de rayonnement international. Incapables de retrouver la force de ce Grand Cirque, certaines infrastructures construites pour les méga-événements sportifs ne sont que des « éléphants blancs », des consommables, éphémères et ruineux. Qu’il s’agisse du village olympique à Rio, du Stade olympique d’Athènes ou de Pyeongchang, tous marquent les esprits par leur coût et leur irrecyclabilité. Pour éviter la multiplication de ces dérives, le monde sportif doit évoluer, s’inscrire dans la durée avec des espaces de compétitions porteurs de sens et qui répondent au monde d’aujourd’hui.
Comprendre le stade d’aujourd’hui…
Pour le sport d’aujourd’hui, de nombreuses contraintes pèsent sur son espace de compétition : les coûts et les attentes de rentabilité de l’infrastructure sportive, la pression de la société civile, la sécurité, l’expérience du spectateur et du téléspectateur. Le financement du sport n’est plus lié à la prédominance des revenus de la billetterie, ce qui avait longtemps justifié la création de stades toujours plus grands. Cette part a aujourd’hui fortement diminué et même si les stades embrassent les opportunités des programmes lucratifs d’hospitalité pour les VIP, l’essentiel des revenus du sport provient aujourd’hui des droits marketing et media. Et pour cause, alors que le stade olympique de Pékin 2008 accueillait 91000 spectateurs le 8 août 2008, c’est près d’un milliard de personnes qui regardèrent la cérémonie d’ouverture dans le fameux « nid d’oiseau ». Pour Londres 2012 (80’000 spectateurs) et Rio 2016 (75’000 spectateurs), c’est près de 340 millions[1] de téléspectateurs qui admirèrent les cérémonies d’ouverture dans les stades olympiques britanniques et brésiliens. Pour Paris 2024, le Stade de France devrait accueillir 80000 spectateurs le vendredi 26 juillet 2024, pour plusieurs centaines de millions de téléspectateurs.
Si le principal reproche concernant les méga-événements sportifs concerne les coûts des infrastructures et leur devenir, peut-on s’organiser sans ces « éléphants blancs » ? Peut-on s’assurer que l’espace de compétition ne soit plus seulement le miroir d’une grandeur temporaire mais qu’il s’inscrive dans le temps ? Aujourd’hui, la conjugaison des opportunités technologiques et des enjeux environnementaux nous permettent de penser différemment le stade du futur. Un stade doit garantir polyvalence et adaptabilité, sécurité et accessibilité. Il doit intégrer ou accueillir les infrastructures, permanentes ou temporaires, de prises de vue, montage et diffusion des signaux tv ou des media sociaux, pour garantir la visibilité exigée par les organisateurs, sponsors… et téléspectateurs. Le stade doit proposer des « beauty spots », pour les caméras des diffuseurs comme pour l’instagram des spectateurs. Il doit gérer les flux, la sécurité, il doit offrir des services de restauration, et servir les athlètes, les dirigeants des fédérations et les pouvoirs publics.
Pour inventer le stade de demain…
Mais ce stade doit-il être nécessairement être un stade ? Deux tendances actuelles méritent notre attention. La première s’inspire du Transit oriented development, on utilise des sites à fort taux de passage : gares ou aéroports, espaces urbains, centres commerciaux… En bénéficiant des infrastructures existantes, on profite alors des services disponibles en termes d’accessibilité, hospitalité, sécurité, télécommunications. C’est une logique de rationalisation financière et d’optimisation du lieu. Mais c’est un lieu neutre, sans âme. Or, pour engager pleinement les communautés, il faut engager, s’inscrire dans la transmission. D’où la deuxième tendance, l’utilisation d’un espace historique.
Organiser des compétitions sportives dans un espace historique, c’est en effet revenir aux valeurs essentielles du sport. C’est l’inscrire dans un endroit signifiant, porteur de sens, héritier d’un passé et engagé dans une continuité culturelle, temporelle et géographique. La France est riche de ces lieux comme les abbayes, prieurés ou châteaux. Ils sont des marqueurs de notre territoire, souvent en zone périurbaine voire rurale. Ils étaient entourés de villages, de terres et de forêts qui pourvoyaient à leur subsistance et sont donc souvent isolés en rase campagne. A leur âge d’or, ces lieux vivaient en quasi-autarcie par une coopération de tout un écosystème solidaire pour survivre loin des villes. Ces lieux sont les témoins de l’importance des valeurs solidaires développées par le sport. Jouer pour faire revivre cette coopération dans ces lieux marque l’importance de la « coopétition », valeur que nos communautés demandent. C’est d’ailleurs tout l’esprit du Village olympique, espace clos destiné à favoriser les échanges et l’amitié entre les athlètes des Jeux olympiques ou paralympiques.
Paradoxalement, l’éloignement peut être un atout. Celui de lieux spacieux, ancrés dans la nature, le silence et la frugalité. Des espaces rassurants par leur constance, loin de nos centres hyper-urbains, bruyants et dangereusement effervescents. La sérénité et la concentration sont essentielles pour les sportifs et esportifs. Pour le fan aussi, se retrouver dans un cadre privilégié est important. Quant à l’accessibilité apparemment rebutante, elle invite à la coupure, nécessaire au voyage dans le temps. Rejoindre une abbaye du XIIème siècle ne se fait pas en une station de métro. Le temps du voyage invite à quitter son univers habituel pour se fondre dans une autre époque. Pour le compétiteur comme pour le fan, l’âme doit précéder le corps.
Le bâti aura perdu sa parure d’antan mais il reste souvent monumental. Cette grandeur témoigne de son rayonnement passé, d’un idéal chevaleresque ou religieux qui dépasse la nécessité matérielle. Là aussi, l’impression laissée sur le visiteur, sportif ou spectateur, sponsor ou VIP, augmente les valeurs transcendantales de l’événement sportif, comme le ressentent les visiteurs d’aujourd’hui quand ils pénètrent le stade historique d’Olympie ou du Circus Maximus. Et comme il serait impensable de faire du bowling dans la galerie des glaces à Versailles, l’organisateur de l’événement sportif doit prendre soin de ne pas trop « ripoliner » le lieu d’histoire car il doit rester un lieu de vie, fidèle à son passé.
Cadres uniques, porteurs de sens et de valeurs, les espaces historiques sont légitimes comme arènes de compétition. Ils apportent aux sportifs et aux gamers, aux fans et tous les acteurs du sport, une authenticité essentielle et unique. Ils se prêtent merveilleusement aux contraintes du sport classique mais aussi aux courses de drones, compétitions de robots et même à l’eSport. Leur état n’est pas un obstacle à leur attractivité et leur utilisation car le numérique, les projections 3D, la réalité augmentée permettent de faire revivre le lieu, de rappeler son histoire sans pour autant les restaurer intégralement. La France est un des pays les plus riches au monde de ces espaces historiques. Mère de l’Olympisme moderne et berceau de la FIFA, elle a une opportunité de valoriser son patrimoine et de renouer aux valeurs du sport.
[1] Source Comité international olympique, IOC Television and Marketing Services.