L’allongement de la durée de la vie est une bonne nouvelle pour la société. Pour notre système de protection sociale, c’est un redoutable défi. Financement des retraites, développement rapide du nouveau risque qu’est la dépendance, concentration des dépenses de santé sur la fin de la vie (75% dans les quinze dernières années) : aucune de ses dimensions ne sera épargnée. Le mur du vieillissement fait partie de ces échéances certaines que nos dirigeants n’abordent presque pas, faute d’avoir la volonté de lui apporter les solutions courageuses qui s’imposent.
Le problème des séniors est en réalité doublement le problème des jeunes. D’une part parce qu’ils en supportent et en supporteront de plus en plus le poids financier au cours de leur carrière. D’autre part parce que l’on peut douter de la capacité du système à leur fournir demain, quand ils seront vieux à leur tour, les services dont jouissent aujourd’hui nos aînés. Pour répondre à ces défis, tous les leviers doivent être actionnés.
Notre système de retraite par répartition s’apparente à une redoutable pyramide de Ponzi. Les jeunes d’aujourd’hui risquent fort d’être purement et simplement escroqués, ayant cotisé sans profiter à leur tour d’une manne comparable.
Les marges d’augmentation des cotisations ou de baisse de prestations sont particulièrement étroites, alors même que l’on stigmatise à bon droit le poids des prélèvements sur le travail qui affecte notre compétitivité et la faiblesse des petites retraites. En revanche, l’allongement de la durée de cotisation, indispensable dans une société où l’on vit de plus en plus longtemps, pourra (et devra) être réalisée : les Français bénéficient en moyenne d’une retraite de cinq ans plus longue que la moyenne des autres pays développées. Le système des retraites doit aussi être harmonisé, pour remédier enfin à l’inacceptable inéquité entre cotisants créée par nos 35 régimes. Il faut passer à un régime universel de retraite par comptes notionnels (établissant le taux de conversion des points accumulés en fonction de l’âge et de l’espérance de vie). Cela apportera viabilité financière, équité, lisibilité et transparence.
En ce qui concerne la santé, il faut reposer la question de la responsabilisation des individus. L’idée de bouclier sanitaire proposée par Raoul Briet et Bertrand Fragonard dans leur rapport de 2007 constitue une piste intéressante : il s’agirait s’instituer une franchise sur les dépenses de santé (excluant les affections de longue durée) qui serait fonction du niveau de revenu, au-delà de laquelle la couverture à 100% des dépenses de santé resterait acquise. Ce système existe en Allemagne depuis 2004, faisant supporter aux assurés leurs dépenses de santé jusqu’à 2% de leurs revenus.
Mais le levier principal à actionner est celui de l’innovation. La clé de notre capacité à mettre à profit le numérique pour trouver des solutions innovantes d’accompagnement de la dépendance et de l’hospitalisation à domicile. Les gisements d’économie sont immenses, si l’on sait se lancer avec détermination dans une politique d’innovation en santé. Mais il ne s’agit pas ici que d’économie ; il s’agit aussi de prendre en compte le confort de nos aînés, et leur souhait légitime de rester le plus longtemps possible « chez eux ». Mettre l’innovation au service de la dépendance, cela passerait avant tout par le développement d’une réelle médecine préventive guidant les choix de vie, permettant d’anticiper les facteurs prédictifs d’affections ou de les juguler au plus tôt.
Les outils d’e-santé permettraient aussi d’éviter les doublons d’actes médicaux, d’éviter les recours inutiles aux urgences, de remédier au mal endémique de la non-observance et de personnaliser précisément les médications en fonction des besoins des patients. La France peut aussi devenir un laboratoire de champions pour la « silver economy », en développant des solutions innovantes au problème du maintien à domicile et à la préservation de l’autonomie. Nous pouvons faire de la menace du tsunami blanc une formidable opportunité.
En cette matière, les grandes sociétés du Net ont un avantage certain, mais les cartes peuvent être rebattues par l’innovation : la prime n’ira pas nécessairement aux « gros acteurs » mais à ceux qui sauront proposer des solutions correspondant vraiment aux attentes et aux usages des patients. Un acteur industriel comme Visiomed par exemple arrive ainsi à se faire une place sérieuse sur le marché de la e-santé depuis quelques années, en proposant des objets et des services d’accompagnement médical qui s’adaptent aux divers profils des utilisateurs, et notamment aux seniors grâce aux usages spécifiques qu’ils développent (sur tablette, sur robot ou sur télévision). Encore faudrait-il pour cela que nous soyons capables, non seulement de créer des entreprises innovantes mais aussi de les développer sur notre territoire en soutenant véritablement leur déploiement. Le cas récent de Withings, absorbé par Nokia, largement financé par des investissements français, a illustré une fois de plus ce drame qui veut que nos entreprises agiles et innovantes ne puissent s’épanouir qu’à l’étranger.
Le défi du vieillissement est lié à celui, plus vaste, de notre prospérité économique. La solution passe par l’attractivité de notre territoire, l’accès aux financement pour nos entreprises, un cadre fiscal propice à l’activité (y compris concernant la transmission) et une capacité à adapter nos régulations pour faire place aux innovations. Il est regrettable que la campagne présidentielle, absorbée par des débats de surface abordant les problèmes mesure par mesure, quand ce n’est pas sous le prisme unique des anecdotes, ne permette pas de confronter clairement, face aux électeurs, les réponses apportées par les différents candidats à ces grands enjeux de société.