De l’ouverture prochaine en Ile-de-France du plus grand incubateur à start-up au monde, au succès du Digital Day le 29 septembre à Paris, en passant par l’anniversaire des dix ans de la plate-forme Leboncoin, tous les signaux sont au vert pour célébrer l’émergence d’une « Silicon Valley » made in France. Elle n’attend désormais plus que le soutien des pouvoirs publics pour véritablement s’affirmer.
L’avènement d’un modèle économique reposant sur le partage et l’échange entre pairs par l’intermédiaire d’une plate-forme relevait de l’hypothèse il y a encore quelques années. Sous les effets conjugués de la révolution numérique et de la crise économique, le modèle collaboratif s’est progressivement instauré comme une réalité tangible. En permettant la mobilisation de ressources privées existantes et non utilisées, les plates-formes d’intermédiation ont pu s’imposer sur les marchés et proposer des services innovants à moindre coût, venant progressivement concurrencer les acteurs économiques traditionnels ou, à tout le moins, compléter une offre insuffisante.
Certains des acteurs fermement implantés sur leur marché, suffisamment conscients de la mise en garde de Schumpeter soulignant que « le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, [et] lui fait concurrence jusqu’à le ruiner », se sont rapidement adaptés et ont vu de nouvelles opportunités dans l’émergence de ce nouveau modèle. Citroën et OuiCar, par exemple, collaborent pour proposer une offre de location de voitures de la marque entre particuliers. D’autres, en revanche, très nombreux, ont joué la carte du conservatisme, cherchant à étouffer la concurrence exercée par les nouveaux opérateurs en appelant à une intervention des pouvoirs publics. Un lobbying intensif qui a hélas été dans bien des cas efficace.
Régulation segmentée ubuesque
L’Etat, après avoir longtemps tergiversé, ne semble toujours pas percevoir l’ampleur du phénomène collaboratif. Trop souvent, le gouvernement et le législateur imposent une régulation segmentée ubuesque, reposant au mieux sur un régime d’autorisation, au pis sur un système d’interdiction. Dans le secteur des transports particuliers à la personne, alors qu’un marché trop concentré avait engendré des hausses ahurissantes du prix des licences des taxis ces dernières années, le gouvernement a préféré céder aux acteurs établis.
A la faveur de l’imbroglio juridique ainsi créé, sont confondues des applications aux offres fondamentalement différentes : Heetch dont le modèle repose sur le covoiturage est aujourd’hui poursuivi au même titre qu’UberPop qui organisait une offre de transport à titre onéreux sans en respecter les conditions légales !
Le développement de l’économie collaborative invite les pouvoirs publics à repenser en profondeur leur cadre d’analyse et leurs interventions. Sur le plan social, il s’agit d’acter clairement le dépassement du modèle salarial et de réfléchir à de nouvelles protections. Sur le plan fiscal, il est urgent d’adapter le système d’imposition à la « plateformisation » de l’économie et à l’érosion des frontières entre activités lucratives ou non. Sur le plan de la concurrence et de l’innovation, il est indispensable de libérer les marchés surréglementés pour lesquels les nouveaux acteurs numériques ont montré qu’il existait une demande insatisfaite.
La réponse des autorités à ces défis ne peut pas être de faire rentrer au chausse-pied les nouvelles activités dans des régulations exsangues conçues pour l’économie d’hier. La généralisation de l’économie collaborative est en marche, irréversible et source d’opportunités réelles. Plus que jamais, nous avons besoin que nos responsables politiques fassent preuve de discernement en évitant l’avènement d’un système où, pour reprendre la formule de Jaurès, « l’empêchement est partout et le contrôle n’est nulle part ».