Le « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (PACTE) qui doit déboucher sur un grand projet de loi au printemps est l’occasion d’un utile débat. Il est en particulier urgent de sortir du manichéisme simpliste qui caractérise trop souvent notre vision de l’entreprise en France, et qui contribue à fausser notre compréhension des mécanismes économiques.
L’idée de codétermination procède d’une image naïve voulant opposer les actionnaires, dépourvus de sentiment humain et motivés par leur seul appât du gain, à des salariés forcément mus par le sens du bien commun.
Les sciences administratives ont abondamment montré que la réalité est plus complexe que cette triste opposition binaire. Les intérêts sont multiples et parfois divergents. Chaque acteur y poursuit, via sa propre stratégie, ses intérêts. Le salarié peut chercher à maximiser son revenu par rapport à ses efforts, le client à avoir le meilleur produit pour le prix le plus bas possible, les dirigeants à accroître leur pouvoir et leur prestige, etc.
L’organisation est plus une coalition politique en perpétuelle négociation qu’un Armageddon, lieu biblique où s’affronteraient le Bien et le Mal. La stigmatisation absurde des suppressions d’emplois comme étant toujours et partout la traduction d’un arbitrage inique entre profit et emploi est d’une insondable bêtise.
Qu’on le veuille ou non, de douloureuses restructurations d’activité peuvent être nécessaires ; sans elles, c’est toute l’entreprise qui péricliterait. Les dirigeants savent aujourd’hui que les intérêts bien compris des parties prenantes d’une entreprise convergent dans le long terme. Les investisseurs (d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une entreprise familiale), dont font notamment partie des actionnaires, souhaitent le développement et la pérennité de l’activité, ce qui passe par la satisfaction de clients auxquels on n’a évidemment pas intérêt à nuire.
Loin d’attendre de nouvelles contraintes d’une puissance publique tentée de se défausser, les entreprises ont compris l’intérêt de s’engager. Les « externalités négatives » (pollution, nuisances sonores ou visuelles) et positives (le rôle dans l’animation économique locale) sont désormais largement prises en charge. La loi est donc un outil à manier avec précaution, car les bonnes intentions peuvent vite dégénérer en effets pervers.
Au fond, la conception française biaisée de l’entreprise dérive de celle que nous avons du marché. Il n’est jamais question chez nous que de ses imperfections, sans que l’incroyable puissance de l’ordre spontané soit reconnue.
Souvenons-nous qu’en 2016 l’enseignement des mécanismes de marché est devenu optionnel dans le cours d’initiation à l’économie en classe de seconde ! On devrait rappeler cette évidence aux élèves : toutes les tentatives d’écarter le marché au profit d’une organisation centralisée se sont soldées par de cuisants échecs.
Nous avons beaucoup du mal à voir dans l’intérêt économique autre chose qu’une sorte de vice honteux. On confond ainsi la prise de risque liée à la recherche du profit, parfaitement légitime et saine, et ce qu’Aristote appelait la chrématistique, la volonté de gain rapide. Assimilant l’investissement à la spéculation, comment s’étonner que notre fiscalité empêche celui-là en voulant punir celle-ci ?
L’enjeu du débat en cours est de mettre fin aux mythes qui ont la vie dure concernant les entreprises, finalement si méconnues en France alors même qu’elles contribuent pour l’essentiel de la création de richesse.