Les futurologues vont encore se tromper

La politique consiste d’abord à anticiper. Or nous sommes aujourd’hui face à une rupture radicale : l’humanité va devoir prendre des décisions qui l’engageront de façon irréversible, dans le domaine des manipulations génétiques, des modifications cérébrales et de l’intelligence artificielle (IA).

Pour piloter la révolution technologique, prédire le futur est donc essentiel mais n’a jamais été aussi difficile. Première raison : les technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) génèrent une imprévisibilité maximale. Ce n’est pas une révolution de plus : les NBIC visent à la modification de notre humanité biologique. Elles connaissent un développement exponentiel, ce qui génère une énorme imprévisibilité et rebat en permanence les cartes économiques et géopolitiques. Tout est possible, même le pire.

Régulons nos nouveaux pouvoirs démiurgiques

Deuxième raison : les NBIC et l’IA génèrent d’énormes fantasmes, ce qui rend difficile une réflexion lucide. Nous sommes en plein brouillard numérique. Nos biais cognitifs et la projection de nos fantasmes et peurs sur l’IA rendent difficile une vision rationnelle des risques. L’extraordinaire diversité des discours sur les conséquences de l’IA souligne d’ailleurs l’imprévisibilité de ses conséquences.

Troisième raison : « Homo Deus » est en rodage. La gouvernance et la régulation des technologies qui modifient notre identité seront fondamentales. L’homme découvre ses pouvoirs démiurgiques, mais n’a aucune expérience de leur régulation : être un dieu n’est pas facile. Quatrième raison : l’innovation est désormais dans les mains des géants du numérique et plus seulement des Etats. Le pouvoir politique se fragmente avec l’émergence de nouveaux décideurs. La décision du patron d’Amazon d’investir massivement dans la conquête du cosmos est inattendue : aucun Etat ne peut décider aussi vite que Jeff Bezos ; cela accroît les surprises.

Les décisions des industriels transhumanistes ne nécessitent aucun consensus social : elles peuvent entraîner en retour de violentes oppositions qui seront difficiles à anticiper. Cinquième raison : les projets transhumanistes chinois dans les cartons des BATX sont mal connus. Le cofondateur du programme Google Brain – Andrew Ng – explique que les Chinois savent bien ce que les Occidentaux font, mais que l’inverse n’est pas vrai du tout.

Pour une quête universelle de sens

Sixième raison, enfin : les NBIC vont entraîner une quête de sens aux conséquences imprévisibles. La volonté de doter l’homme de pouvoirs démiurgiques est en rupture avec l’idéologie judéo-chrétienne qui fonde la société occidentale. Les transhumanistes veulent supprimer toutes les limites de l’humanité et démanteler tous les impossibles grâce aux NBIC. La mort de la mort, l’augmentation des capacités humaines, la fusion des IA et des cerveaux, la création de la vie en éprouvette et la colonisation du cosmos sont les objectifs de ce mouvement qui promeut l’homme-dieu.

Nos sociétés n’ont pas cru à ce tsunami technologique et n’y sont pas philosophiquement préparées. Ces perspectives abyssales conduiront à une recherche universelle de sens. Il faut rapidement investir dans la réflexion éthique et politique pour encadrer la civilisation issue de ces technologies NBIC. Jamais la vitesse d’évolution de notre société et l’incertitude sur sa direction n’auront été aussi grandes : le futur est vertigineux et imprévisible.

Par conséquent, les futurologues et prospectivistes – y compris moi, évidemment – vont dire de plus en plus d’âneries, mais leur tâche est pourtant essentielle. L’opinion doit être indulgente. Il faut autoriser les prospectivistes à se tromper : l’échec des prédictions est très formateur !

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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