28 mars 2041.
C’est vers trois heures du matin que je les ai vu débarquer. Ils étaient deux et ça m’a rappelé bien des années plus tôt, chez mes parents, quand ils avaient annoncé le décès de ma grand-mère. Là, c’était mon tour. Sans prendre autant de gants, j’ai donc appris que mon robot préféré que je prénommais Nicomaque avait été retrouvé noyé dans le petit lac du bois de Vincennes.
Je n’avais plus de nouvelles de lui depuis le début de soirée. Inquiet (oui, je suis inquiet pour mes robots !), j’avais alerté la gendarmerie robotique et j’avais dû trouver une autre solution pour la soirée. En même temps, comme c’était mon robot philosophique, je m’étais rabattu sur Valérie, ma robote sexuelle préférée avec qui j’avais interverti ma soirée « plaisir ». Je vous avoue que j’avais presque oublié Nicomaque, m’endormant le corps empli d’hormones du plaisir que Valérie avait adroitement activées dans mon faisceau nigro-strié et autres aires segmentales ventrales de mon cerveau.
Nicomaque n’était plus et je n’ai pu retenir une larme. J’avais beau me trouver déjà assez ridicule en pyjama devant ces deux flics, je pleurais comme un enfant à la perte de son jouet.
« Voulez-vous porter plainte, demanda le gendarme en chef ?
– Vous croyez, répondis-je en reniflant ?
– Monsieur, si je peux vous donner un conseil, c’est mieux pour les assurances.
– Mais je m’en fous des assurances !
-Vous savez, si vous avez une sauvegarde, ils vous le remplaceront à l’identique.
– Oui, mais ce ne sera pas Nicomaque !
– Bien sûr que si, ils sont très forts ! »
Et me voilà ce matin à surfer sur le site dédié à la dégradation numérique pour remplir toute cette fichue paperasse que mon robot aurait lui traitée en un quart de millième de seconde.
Quand ils ont sorti Nicomaque de l’eau, ils ont retrouvé sa lettre de suicide. Il expliquait que nous avions trop discuté ensemble. Il avait compris qu’il n’arriverait jamais à penser de travers. La transgression de la règle lui était impossible. Il ne pourrait ni découvrir la pénicilline ni la radioactivité. Il ne pourrait pas peindre une nouvelle Joconde ni inventer un nouveau microscope. Dès lors, sa « vie » de robot, éternelle et sans histoire, lui paraissait dénuée de sens. Comme son cerveau risquait de dysfonctionner, il pouvait me mettre en danger également, ce qui était inacceptable (en apprenant ça, des larmes remontèrent en moi.) Très logiquement, le suicide lui paraissait alors la meilleure solution.
Je me souviens qu’avant de partir, le deuxième gendarme me l’avait dit : « vous savez, ils se suicident tous en ce moment. C’est une épidémie depuis leur singularité, depuis qu’ils se rendent comptent qu’ils existent. Ils se rendent compte aussi qu’ils ne sont pas comme nous ! »
Deux semaines plus tard, je recevais un nouveau fichier d’impression 3D. Après avoir imprimé tous les segments, j’assemblais mon nouveau robot. Il sentait bon le plastique. Il me fallut ensuite deux minutes pour recharger la sauvegarde et Nicomaque — car c’était bien lui — revenait à la vie.
Le même jour, je recevais une alerte. La société ATGCx me proposait de sauvegarder mon cerveau en vue d’une vie après la mort. Une nouvelle fois, je supprimais le fichier. Je n’étais pas prêt. Pas cette fois. Pas encore …