Avril 2042
Nicomaque a le blues ! Depuis deux jours, mon robot de compagnie reste en mode « économie d’énergie », se recharge au minimum, bref il déprime. Ce soir, j’ai ouvert la conversation, et j’ai compris : il veut connaître ses origines. C’est vrai : quoi de plus naturel pour un humain que d’avoir une ascendance et de vouloir la connaître. Mais pour un robot doué de conscience, c’est plus compliqué.
Il avait commencé par analyser toute l’histoire de l’informatique. Il a d’abord pensé que Ted Hoff, l’inventeur du microprocesseur en 1969, était son aïeul. La demi-seconde suivante, il s’est rendu compte qu’un mathématicien arabe du 9ème siècle, Abu Abdullah Muhammad ibn Musa al-Khwarizmi, était à l’origine du mot « algorithme ». Nicomaque avait trouvé son dieu ! Poursuivant ses recherches, il éplucha les travaux d’Alan Turing, le cryptanalyste qui travailla pendant la seconde guerre mondiale sur le décodage de la machine allemande Enigma. Il se dit que ce personnage était son grand-père. Turing avait en effet posé les bases de l’Intelligence Artificielle (I.A.) en 1950 avec son fameux test.
Malgré toutes ses recherches, Nicomaque ne trouvait toujours pas qui était son père. Était-il issu de ce qu’on avait appelé les GAFA américains (Google, Amazon, Facebook, Apple) ou des BATX, leurs pendants chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Était-il donc un produit issu d’un business devenu rentable depuis qu’en2015, les machines étaient devenues plus performantes que les humains, et que donc, de l’argent avait été massivement injecté dans la recherche, développant par là le troisième niveau d’I.A. dont son cerveau avait bénéficié avant qu’il atteigne finalement la conscience artificielle ? Je dois dire que je ne trouvais pas mes mots…
Comment lui expliquer qu’il était tout simplement le fruit d’une industrie concentrée dans quelques mains ?
J’avais envie de l’aider mais y penser me ramena a ma propre histoire : comment lui avouer que je n’était qu’un consommateur de produits technologiques moi-même surpris de son intelligence vive ?
Comment lui faire comprendre que j’étais perfusé financièrement par une institution supérieure qui ne me rémunérait le minimum vital que pour masquer son incapacité à me trouver du travail ?
Comment lui dire qu’avec ses comparses, il avait pris ma place, notre place, produisait plus et mieux, jour et nuit, inlassablement, que ce soit de la matière ou de l’intelligence ? Que personne n’avait vu venir cette nouvelle génération, imprimée en 3D à partir de plans détenus par les nouveaux maîtres économiques ?
Il n’avait même pas pensé que je pouvais l’avoir créé : ce soir-là, je l’avoue, j’ai eu envie de le tuer, mais ça n’aurait rien changé. Je savais que s’il disparaissait, les assurances me fourniraient un autre robot dans les 12 heures, j’en avais déjà fait l’expérience !
Je pouvais tuer Nicomaque mais pas changer ma vie. J’étais à tout jamais voué à chercher des occupations pour ne surtout pas m’accomplir dans ma vie, dans la société. J’étais prisonnier du monopole des Intelligences Artificielles sans pouvoir rien y faire.
Nicomaque m’avait refilé son blues.