Les entreprises françaises n’ont pas su évoluer depuis quinze ans, ni dans leur façon d’attaquer un marché, ni dans leurs process internes, qui sont bien moins flexibles qu’aux Etats-Unis. Jusque dans les années 1990, la France était l’un des leaders mondiaux du secteur des télécoms. Vingt ans plus tard, nous sommes complètement largués, sans aucun constructeur ou acteur numérique sérieux sur la scène internationale.
Changer de culture d’entreprise
Si la France est devenue un « follower » en matière d’innovation, c’est parce que la culture du « bottom up » (approche ascendante) n’est pas ancrée dans la culture française, qui cherche toujours l’innovation à travers l’Etat ou les grandes entreprises. Or l’innovation ne se produit plus dans les grands groupes, mais dans des petites structures agiles.
Les entreprises françaises accusent un retard important en matière d’organisation et d’adoption des nouveaux usages. A titre d’illustration on parle encore du télétravail comme d’une révolution en France… alors que les salariés sont équipés depuis longtemps d’outils leur permettant de travailler à distance. Il est inutile d’investir des millions dans les technologies numériques si on ne change pas notre management et la culture de l’innovation. On doit ainsi accorder plus d’autonomie aux collaborateurs, leur accorder le droit de se tromper et de remettre en cause les modèles éprouvés . En Californie c’est la culture du risque et du résultat qui a permis de voir éclore une nation d’entrepreneurs.
Sortir l’innovation des laboratoires
La France s’est dotée de puissants dispositifs de soutien à l’innovation scientifique et technologique , pourtant notre pays est souvent à la peine pour sortir l’invention du laboratoire. Comme le montre Apple, le succès d’une innovation n’est pas uniquement technologique, mais il est lié à l’usage et à son business model. Aujourd’hui, on a autant besoin de chercheurs en psychologie cognitive, d’experts en marketing social ou de designers que d’ingénieurs…
Pour transformer l’invention en succès commercial, il faut également valoriser ceux qui ont des idées. Les salaires offerts à nos chercheurs sont bien trop faibles. On peut toujours avoir les inventeurs, si on ne valorise pas l’invention, d’autres le font à notre place. Quand on offre 2.000 euros par mois à un chercheur au CNRS, certaines entreprises californiennes proposent jusqu’à 500 fois plus.
Les entreprises françaises sont également trop conservatrices. Comme Kodak en son temps, elles profitent des rentes des innovations du passé. L’environnement numérique nécessite de savoir se réinventer, innover, investir dans des nouveaux business models. La valorisation boursière des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) est largement plus grande que celle des entreprises traditionnelles, car ces entreprises du numérique attaquent tous les marchés et ne restent pas uniquement dans leur secteur initial. Avec cette stratégie, Amazon sera probablement la première entreprise à voir sa valorisation dépasser les 2.000 milliards de dollars.
S’appuyer sur les données
Il est grand temps de prendre en main notre futur numérique. Si la France ne souhaite pas devenir une colonie numérique chinoise ou américaine, elle doit unir ses efforts avec les autres pays de l’Union Européenne. Avec 500 millions d’habitants, nous avons toutes les capacités pour rattraper notre retard notamment dans l’analyse des données. En effet, pour assurer un avenir à notre industrie, il faudra que les Européens exercent un certain contrôle sur les futurs produits qui domineront l’économie des prochaines décennies.
L’intelligence artificielle, les robots, la voiture sans chauffeur, les systèmes d’assistance… s’appuieront tous sur l’exploitation des données
Paradoxalement, depuis leurs débuts dans le « cloud » les entreprises américaines font face à de fortes suspicions sur la sécurité des données. Malgré ces critiques, l’Europe est incapable d’offrir des services équivalents. Un constat particulièrement décevant, alors qu’une majorité d’experts et de politiques s’ingénient à crier au loup. En réalité, nous sommes pour l’instant bien incapables de motiver nos voisins et partenaires européens pour développer des produits concurrents aux leaders américains.
Ne plus freiner l’innovation
L’émiettement considérable des acteurs en Europe fragilise nos chances de peser dans l’économie de demain. Elle rend également hypothétiques nos chances de faire adopter par les autres nos standards relatifs à la sécurité et à la transparence… En Europe, nous avons voulu lutter contre les GAFA uniquement avec le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD). Or il est plus facile de se mettre aux normes lorsqu’on a des centaines de juristes que lorsqu’on est une petite start-up
En réalité, le RGPD participe d’abord à tuer nos jeunes champions . La capacité d’un fournisseur à faire face à la diversité et à la complexité des législations nationales handicape l’émergence de grandes plateformes européennes. Le plus grave, c’est que pendant que l’on discute dans chaque pays européen de la transposition du RGPD ou de la circulation des véhicules autonomes… des empires mondiaux se créent sans nous.
Nous n’arriverons pas à rattraper notre retard si l’on va systématiquement plus vite pour créer des lois qui freinent l’innovation, que pour des lois qui facilitent les nouveaux usages. Si nous ne réagissons pas, l’intelligence artificielle risque bien d’être la prochaine victime de ce processus.