Echanges internationaux – à propos
Un observatoire au service d’une réflexion originale sur l’évolution des échanges internationaux
L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis pour un nouveau mandat marque un coup d’arrêt, potentiellement définitif, à la logique du libre-échange mise en œuvre au plan mondial depuis la fin des années 1980. La décélération des échanges commerciaux internationaux (qui ne signifie pas leur recul), perceptible depuis la pandémie de COVID-19, s’est accompagnée du renforcement spectaculaire des outils de contrôle des investissements internationaux par les États. Ce renforcement se traduit d’abord par leur multiplication, mais aussi par l’élargissement de leur champ d’application. Surtout, ce renforcement concerne principalement les économies développées, c’est-à-dire celles qui avaient été le moteur de la libération des échanges commerciaux internationaux, tant par l’adoption de nombreux accords commerciaux bilatéraux ou régionaux que par la mise en place de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Il existe de nombreuses analyses de ces instruments de contrôle d’un point de vue procédural et statistique. Nous nous proposons de les aborder sous un angle différent, celui de la politique économique, en les plaçant dans une plus large perspective, qui inclut l’état de mise en œuvre des accords commerciaux (multilatéraux, régionaux, bilatéraux), les considérations de réciprocité et d’équivalence réglementaire, et les considérations géopolitiques, lesquelles s’expriment naturellement par la multiplication des mesures de sanction mais aussi par les politiques de friendshoring.
Notre hypothèse est que la mise en œuvre de ces différents instruments correspond, de manière encore inexprimée – sauf peut-être par le Président Trump, précisément – à une volonté de rééquilibrage des rapports de force commerciaux entre économies développées, initialement les plus déterminées au libre-échange, et les grandes économies émergentes dont beaucoup ont toujours conservé de jure ou de facto un degré de contrôle élevé sur l’accès à leur marché intérieur.
Cette hypothèse prend un relief tout particulier dans le cadre des économies de l’Union européenne, dont les Etats membres ont transféré le contrôle de la politique commerciale à la Commission européenne, laquelle reste extrêmement attachée au développement du libre-échange international.
Il n’est pas difficile d’identifier, dans la manière dont la plupart des Etats membres de l’UE se sont rapidement dotés d’instruments de contrôle des investissements internationaux, le recours précipité à un dernier espace de souveraineté face aux prérogatives de la Commission européenne, gardienne tout à la fois des règles du droit européen de la concurrence, du marché unique européen et des accords de commerce internationaux.
Tout récemment, les mesures que le Gouvernement français a fini par adopter quant au rachat par un fonds d’investissement international de la filiale de Sanofi produisant un médicament d’usage courant illustrent l’espèce de dénuement dans lequel se trouvent les Etats européens pour faire face aux exigences politiques nationales tout en maintenant une image favorable aux investissements étrangers.
Il ne s’agit pourtant pas pour notre observatoire de dresser le procès en hypocrisie des Etats membres de l’UE. Nous entendons examiner l’hypothèse que ce sont les économies développées dans leur ensemble qui recourent ou entendent pouvoir recourir à des mesures de contrôle des investissements et des échanges internationaux, dessinant ainsi (implicitement) une révision de leur politique économique en ce qui concerne leur degré d’ouverture, sans toutefois officiellement dénoncer les accords internationaux en vigueur, de manière à en contrôler la portée. Ce caractère implicite explique l’aspect disparate des mesures qui peuvent être mobilisées, qu’elles soient par exemple prévues en principe par les accords commerciaux eux-mêmes, ou des mesures réglementaires nationales dont l’impact frappe « incidemment » les échanges internationaux, ou encore fondées sur la notion – parfois vague – de secteur stratégique.
Cette évolution représente bien entendu l’admission, elle aussi implicite, que les organisations internationales et multilatérales ont failli à accompagner les échanges internationaux de règles dont la mise en œuvre assurerait une concurrence équitable du point de vue économique, social, fiscal et environnemental. Il est beaucoup question de « sécurité nationale » par les autorités chargées de mettre en œuvre ces mesures de contrôle, mais sans en nier la dimension politique et géopolitique, notre point de vue est que de telles mesures reflètent un agenda beaucoup plus vaste.
En particulier, nous identifions d’ores et déjà cinq domaines dans lesquels le renforcement des mesures de contrôle nous paraît à l’œuvre, potentiellement irréversiblement, et appelé à se poursuivre :
- Tout naturellement, la défense nationale, dont les applications civiles et militaires des technologies de l’information.
- La protection des consommateurs.
- La politique industrielle, dans la logique de sécurité d’approvisionnement.
- La confidentialité des données (data privacy).
- La lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement.
C’est l’ambition de cet observatoire que d’analyser le développement de ces mesures, d’en décrypter la signification réelle et d’en évaluer les impacts.
A la lumière des dynamiques récentes et compte tenu des stratégies potentielles pour l’Europe dans le contexte actuel des échanges internationaux, voici une sélection des sujets qui pourront être abordés :
- Les transformations des chaînes d’approvisionnement mondiales
En raison des récentes crises économiques, sanitaires et géopolitiques, de nombreuses entreprises réévaluent leurs chaînes d’approvisionnement pour réduire leur dépendance à certaines régions du monde, notamment l’Asie. Cette reconfiguration des chaînes globales vers des modèles plus résilients, comme le nearshoring ou le friendshoring, pourrait transformer les relations commerciales internationales. Un point d’analyse intéressant serait d’explorer les conséquences pour l’Europe et les stratégies qu’elle pourrait adopter pour attirer ces investissements, tout en renforçant sa souveraineté économique.
- Les nouvelles politiques tarifaires et leur impact
Les barrières tarifaires se diversifient, incluant des éléments normatifs et sanitaires qui exercent un impact indirect sur les échanges. Comment ces politiques affectent-elles la compétitivité des entreprises européennes, notamment dans les secteurs sensibles (agriculture, haute technologie) ? Quelles recommandations pour que l’Europe adopte des contre-mesures adaptées pour protéger ses entreprises tout en respectant les règles du commerce international ?
- L’influence de l’opinion publique sur la politique commerciale
La montée en puissance des préoccupations environnementales et éthiques au sein de l’opinion publique pousse les gouvernements à adopter des politiques commerciales plus strictes et plus encadrées. Comment cette pression influence-t-elle les décisions commerciales au niveau de l’UE, et dans quelle mesure cette influence peut-elle être un levier pour renforcer des pratiques de commerce responsable sans menacer la compétitivité européenne ?
- Vers une intégration accrue de la transition écologique dans les échanges
En intégrant davantage de critères environnementaux dans les accords commerciaux, l’Europe pourrait jouer un rôle pionnier pour une économie mondiale plus durable. Comment ces exigences pourraient-elles transformer les termes de l’échange international et favoriser des secteurs comme les énergies renouvelables, tout en prenant en compte les risques de distorsion de concurrence pour les entreprises européennes ?
- La diplomatie économique européenne face aux grandes puissances
Avec l’émergence de nouvelles grandes puissances économiques, la diplomatie commerciale de l’Europe doit évoluer pour rester compétitive et protéger ses intérêts stratégiques. Comment l’Europe peut-elle renforcer son influence sans renoncer à ses valeurs de libre-échange ? On pourrait étudier en particulier les tactiques que l’Union européenne pourrait employer dans ses négociations, telles que le conditionnement de l’accès au marché unique à des règles de réciprocité.