Bon et mauvais lobbying

Il en va du lobbying comme des chasseurs selon le sketch désopilant des Inconnus : il y a les bons et les mauvais. Le bon lobbying est celui qui argumente, rappelle des faits, met en garde contre les rumeurs et opinions, traduit le complexe pour le rendre accessible et essaye d’intéresser tout un chacun au sujet pour en améliorer la compréhension. Les syndicats, ONG et tous les défenseurs autoproclamés des belles causes en font par définition partie. Ces acteurs font l’objet d’une présomption irréfragable de bonne foi, de désintéressement et d’expertise.

Le mauvais lobbying fait exactement la même chose que le bon lobbying. Mais lui n’a pas l’heur d’appartenir au camp du bien. Ses auteurs sont catégorisés pour toujours du côté obscur de la force. Les thèses qu’ils défendent ne font pas partie du corpus des vérités officielles, celles qu’il serait moralement obligatoire d’accepter et de professer sous peine, comme disait Sartre pour les anti-communistes, « d’être un chien ». Toute assertion venant de ce genre de locuteur est systématiquement mise en doute, soupçonnée sauf preuve du contraire (impossible à apporter) d’être achetée et truquée.

Le bon lobbying se fait la bouche fraîche en choisissant les mots qu’il emploie pour décrire ses propres pratiques. Il « fait entendre sa voix » auprès des élus, prodigue de la « pédagogie citoyenne » et réalise des « cartographies des parties prenantes ». Aucun mot n’est en revanche assez dur pour qualifier les pratiques des mauvais lobbyistes. Eux, « influencent », « font pression » en « s’introduisant au parlement et dans les ministères » et, comble de l’ignominie, « font du fichage ».

Manipulations. Il ne s’agit pas de soutenir telle ou telle industrie ni de prétendre qu’il n’y a jamais eu de faits répréhensibles. Les manipulations, la mauvaise foi, les pressions et les études orientées existent bel et bien. Mais il est nécessaire de se rendre compte que tout cela se trouve hélas… des deux côtés. On peut regretter par exemple que le bidonnage des études ayant démontré la prétendue nocivité des OGM ait fait beaucoup moins jaser que les manipulations qui ont cherché à défendre la cigarette. De la même façon, pourquoi penser que l’action de lobbying se limite aux entreprises privées et ne pas l’analyser avec la même attention pour toutes les autres formes de groupes de pression, y compris ceux des administrations ?

Notre vision binaire des lobbies, noircissant certains pour mieux rester aveugle aux autres, est au fond une manifestation parmi d’autres de la profonde maladie de notre débat public. Au lieu de permettre de distinguer le vrai du faux, la science n’est qu’un outil de plus mobilisé pour que s’accomplisse le choc des convictions. Brandie lorsqu’elle confirme les a priori, elle est disqualifiée de toutes les façons possibles lorsqu’elle annonce de mauvaises nouvelles idéologiques. Dans le premier cas celui qui la nie est taxé de « négationnisme » (sic), dans le second celui qui la soutient ne peut être qu’un vendu.

Dans ce contexte, le débat est moins que jamais un espace argumentatif rationnel. Il ne cherche pas à aider au discernement, mais évaluer le degré de conformité d’une pensée par rapport à la vérité admise. La qualité des arguments n’est pas évaluée en soi, mais par référence à son locuteur, dont la qualité prime sur la compétence, tant la présomption de corruption est générale. A force de vouloir des avis de gens qui n’ont aucun intérêt à donner leur avis, on risque de finir par n’avoir que des avis sans intérêt.


Publié dans l’Opinion

AUTEUR DE LA PUBLICATION

AUTEUR DE LA PUBLICATION