Confinement et inégalités scolaires : une fatalité ?

La fermeture par le gouvernement des crèches, des écoles, des collèges, des lycées et des universités est une situation inédite dans l’histoire de la cinquième République. Pour pallier l’absence de cours en présentiel, le gouvernement a annoncé « une continuité pédagogique » réalisée de fait à distance. L’apprentissage à distance nécessite de la part des familles un suivi pédagogique de leurs enfants à la maison pour leur permettre l’acquisition des connaissances transmises par le corps enseignant. Or les familles ne sont pas toutes en mesure d’apporter le même encadrement à leurs enfants.

Selon les dernières enquêtes PISA, la France fait partie des pays de l’OCDE où l’origine sociale des élèves impacte le plus leur réussite scolaire. En outre, l’accès au numérique est limité pour les familles défavorisées : seulement 71% des ménages les plus modestes (appartenant au premier quintile de niveau de vie) sont équipés d’un ordinateur contre 92% pour les 20% de ménages les plus aisés (données INSEE). De nombreux enfants issus des familles modestes sont sans accès à internet ou avec un accès réduit, et sans ordinateur ou à devoir partager l’unique ordinateur familial.

Il est donc fort probable que l’organisation du suivi pédagogique à distance en raison du confinement va avoir un effet négatif direct sur les enfants des familles les plus modestes. Ces derniers ont peu accès à internet et aux outils informatiques indispensables, et se retrouvent dans des conditions d’apprentissage défavorables en raison de conditions de vie difficiles : comment travailler sereinement sans ordinateur ou avec l’unique ordinateur de la famille, sans possibilité de travailler au calme car vivant dans un logement exigu ? Les conditions de confinement sont de fait très inégalitaires.

Par ailleurs, la transmission aux enfants de milieu modeste du capital culturel et social des enseignants durant les cours en présentiel ne peut plus s’opérer. Et les parents ne sont pas armés pour aider leurs enfants : la plupart continuent à travailler pendant le confinement pour assurer des services essentiels à la population, et il est compliqué pour eux de s’approprier les consignes des professeurs et d’assurer le suivi de leurs enfants pour les accompagner dans leurs apprentissages. Pour reprendre la célèbre citation de Bourdieu et Passeron tirée de La reproduction parue en 1966, « l’école traite comme « égaux en droits » des individus « inégaux en fait » c’est-à-dire inégalement préparés par leur culture familiale à assimiler un message pédagogique. ». Le président Emmanuel Macron a lui-même reconnu dans son allocution du 13 avril que « la situation actuelle creuse des inégalités ; trop d’enfants notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents »

A cela s’ajoute les difficultés de « faire l’école à la maison ». Y compris dans les familles favorisées, on ne s’improvise pas instituteur ou professeur, et le confinement aura au moins eu le mérite de mettre en évidence la difficulté à transmettre un savoir. Depuis un mois, on a pu mesurer l’investissement de ces enseignants qui, pour assurer la continuité pédagogique, usent d’ingéniosité en diversifiant les supports, et en ayant recours à différentes plateformes numériques. Ceux-là même qui, il y a encore peu de temps, étaient traités de fainéants, et appelés à aider le secteur agricole en manque de main d’œuvre.

Selon Jean-Michel Blanquer, l’Éducation nationale serait sans nouvelles de 5 à 8 % des élèves, avec très vraisemblablement une proportion bien supérieure dans l’éducation prioritaire. Ce chiffre est particulièrement inquiétant. Si on peut louer différentes initiatives privées via le don d’ordinateurs par exemple, ou publiques via l’instauration à la demande de l’éducation nationale de « modules de soutien scolaire gratuits », de « colonies de vacances éducatives », ou d’une plateforme de la Poste chargée d’imprimer et distribuer les documents pédagogiques aux familles sans connexion numérique, on peut néanmoins s’interroger dès à présent sur les effets désastreux du confinement sur la réussite scolaire de ces enfants et sur leur avenir. On peut déjà anticiper que celui-ci aboutira à ralentir la mobilité sociale dans les prochaines années, mobilité sociale déjà faible en France comparativement aux pays du Nord de l’Europe.

La question que l’on peut se poser est comment récupérer ces potentiels décrocheurs ? La chaire Transitions Démographiques, Transitions Economiques (TDTE) a proposé d’utiliser massivement le site de la réserve civique créé par le gouvernement afin de permettre aux retraités volontaires de rentrer en relation avec des écoliers français pour assurer une heure de tutorat par jour, à distance, et accompagner les enfants dans leurs apprentissages et décharger les parents en télétravail. Pour les élèves ayant un accès limité à internet, un tutorat par téléphone peut être mis en place. En 2017, la France comptabilisait près de 16,2 millions de retraités. Les jeunes retraités sont pour la plupart en bonne santé, en bonne condition physique et en pleine possession de leurs capacités intellectuelles. Sources de compétences, d’expérience, et de connaissances utiles à la société, les retraités ont leur rôle à jouer pendant cette crise sanitaire et sociale. La solidarité intergénérationnelle est un moyen de réduire l’accroissement des inégalités lié au confinement.

Concrètement, il s’agit de mobiliser des instituteurs(trices) et professeur(e)s retraité(e)s volontaires pour assurer le suivi pédagogique des enfants scolarisés, soit par téléphone, soit par visioconférence, durant cette période de confinement. Une telle expérimentation est actuellement mise en place via un partenariat entre le Groupe VYV, la MGEN et AlloVoisins qui ont décidé de relayer et concrétiser l’appel à la solidarité intergénérationnelle de la Chaire TDTE. Dans un premier temps, ce dispositif vise à recruter sur la base du volontariat des professeurs, en retraite ou non, de l’Education Nationale. Il leur est proposé de donner une heure de leur temps pour assurer un véritable soutien scolaire. Dans un second temps, une mise en relation est effectuée avec les entités du Groupe VYV et Allovoisins pour que des familles puissent bénéficier du bénévolat des professeurs ayant proposé leur service, via ce lien. Les parents peuvent accéder à ce service, accessible depuis la plateforme Ensemble contre le #Covid19

Bien sûr, l’efficacité du dispositif repose sur le volontariat, les enseignants, retraités ou non, étant déjà fort impliqués dans vie de la cité avec souvent bien peu de reconnaissance. Evidemment, en parallèle de ces dispositifs, il faut garantir l’accès au numérique des élèves de milieu modeste. Plusieurs associations ou entreprises ont déjà fait des dons d’ordinateurs de seconde main aux familles modestes. On pourrait également associer de grands groupes, dans le milieu de l’édition par exemple mais pas seulement, pour aider à équiper ces enfants avec des tablettes.

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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