La guerre froide des blocs soviétique et américain s’est achevée avec le siècle dernier. Elle a laissé place à une opposition d’un genre nouveau. D’un côté, le communisme chinois converti au libre-marché mais devenu dans le même temps une techno-dictature développant un contrôle absolu de ses populations, de l’autre des démocraties ouvertes reposant sur le respect des droits humains individuels. Deux modèles qui s’affrontent pour prouver leur supériorité.
Le camp des régimes autoritaires n’a cessé de marquer des points au cours de la dernière décennie. Dans la course à l’intelligence artificielle, à la recherche scientifique, à la rapidité de modernisation, la Chine a démontré d’indéniables atouts. Côté occidental, le tableau est plus sombre. Les régimes démocratiques tiraient leur force de cette liberté qu’ils garantissaient à chacun et qui les rendait attractifs. Ils fondaient leur stabilité sur l’art difficile du consensus issu du jeu des institutions. Ces dernières permettaient l’alternance politique, donnant au corps social des outils d’expression suscitant une adhésion forte des populations. Aujourd’hui, la machine à produire le consensus s’est grippée. La croyance en la légitimité du système est au plus bas. La liberté n’attire plus.
L’épisode du coronavirus, dont il est évidement encore trop tôt pour établir tout le bilan, ne marque-t-il pas une fois de plus la supériorité des régimes forts? Avec seulement 80 000 malades pour 1,4 milliard d’habitants, le bilan actuel est très limité. Ce résultat a été obtenu au prix de mesures particulièrement drastiques de confinement général tirant partie de toutes les ressources de son réseau très dense de surveillance des populations (utilisant par exemple des drones pour contrôler la température des gens à distance). Une méthode que les pays européens n’ont choisie qu’avec beaucoup de retard, et en restant toujours nettement en dessous du niveau de confinement chinois. Face à un autoritarisme chinois qui n’a été au fond que le prolongement d’un contrôle des populations qui préexistait, les pays tels que la France incarnent un autre modèle. Ils ont certes fermé les écoles, les commerces et interdit les rassemblements, mais ils ont voulu d’abord tout miser sur l’autodiscipline des citoyens exhortés à respecter les mesures de distanciation, éviter les contacts, améliorer leur hygiène et limiter leurs déplacements. Sachant qu’elles ne peuvent espérer égaler l’efficacité des techno-dictatures, les démocraties ont choisi une autre méthode: elles cherchent à atteindre, à un rythme ralenti, le point «d’immunité de groupe» à partir duquel le virus ne parviendra plus à circuler. Une méthode plus subie que choisie, puisque l’alternative exigerait un autoritarisme liberticide qu’elles ne peuvent se permettre.
Cela signe-t-il réellement une fois de plus la faiblesse du modèle démocratique? Non, si l’on considère d’abord que la méthode chinoise n’est peut-être qu’une victoire en trompe-l’œil: un rebond de l’épidémie restera possible puisqu’une grande partie de la population n’aura pas été confrontée au virus.
De plus, la Corée du Sud, quatrième pays le plus touché par l’épidémie, mais où la diffusion du virus a été particulièrement limitée, pourrait bien indiquer la solution alternative à l’autoritarisme chinois. Sa méthode: information du public, appel à la participation de chacun et campagne de dépistage massif. La technologie joue un rôle central dans le succès coréen: les personnes ayant été en contact avec celles qui ont été contaminées sont retrouvées grâce aux images de télésurveillance, aux relevés de carte bancaire et aux données transmises par le téléphone portable. Pas certain que le message soit très rassurant pour ceux qui craignent la progression insidieuse d’un contrôle permanent dans nos sociétés. En fin de compte, la crise sanitaire du coronavirus ne fera probablement que poursuivre la lente métamorphose de notre État-providence en un État-surveillance se proposant, pour venir répondre à nos besoins, de régenter nos existences. La guerre des modèles politiques ne s’achèvera pas par une victoire de l’une d’eux, mais par leur fusion.