Délinquance environnementale : justice express pour aspirations pédagogiques ?

En France, une centaine d’avocats est spécialisée en droit de l’environnement sur un total de 70.000 avocats : comment ne pas saluer l’initiative de la Chancellerie qui tend à une spécialisation accrue des magistrats dans cette matière ?

La Garde des Sceaux a présenté en Conseil des Ministres le 29 janvier dernier un projet de loi visant, d’une part, à créer des juridictions pénales spécialisées en droit de l’environnement et, d’autre part, à créer une procédure de « convention judiciaire écologique » (sorte de plaider coupable environnemental). Ce projet vise aussi à instaurer des peines de travaux d’intérêt généraux à caractère environnemental.

Ce projet revêt un intérêt particulier vu la grande complexité du droit de l’environnement. Cette matière devient en effet de plus en plus technique, conduisant ses praticiens vers une spécialisation de plus en plus forte. Les expertises scientifiques sont souvent un préalable nécessaire avant toute discussion juridique. Il faut donc être en capacité de connaître le droit de l’environnement et, en parallèle, intégrer des données techniques.

Il est donc tout à fait opportun de poser sur la table le sujet fondamental de la spécialisation des magistrats qui in fine, vont « dire le droit » dans le cadre de leurs décisions. D’expérience, en droit pénal de l’environnement, les avocats sont confrontés régulièrement au désarroi de certains procureurs devant la technicité de ce droit. Comment le leur reprocher lorsque, à l’occasion d’une même audience, ils vont devoir requérir contre l’auteur d’un vol de poussette puis contre un industriel soupçonné d’avoir pollué un cours d’eau ? Le droit pénal de l’environnement n’est effectivement pas le quotidien des juridictions répressives qui gèrent plus souvent des affaires de droit pénal général.

Au demeurant, le projet de loi de Chancellerie va dans le sens d’une récente pratique ; à l’instar du Parquet de Douai qui a travaillé à créer un pôle spécialisé en droit pénal de l’environnement.

Concernant le « plaider coupable environnemental », il rappelle aussi cette pratique qui conduit le juge administratif à proposer de plus en plus régulièrement une procédure de médiation entre les autorités administratives et les responsables d’activités à l’origine de nuisances potentielles.

Le but clairement affiché par la Chancellerie est d’accroître la répression environnementale ; les condamnations étant insuffisantes selon elle et les procédures trop longues.

Il y a donc lieu, selon la Chancellerie : d’accélérer les procédures, de créer une procédure de « convention judiciaire écologique » (un plaider coupable environnemental) et d’être en mesure d’infliger des travaux d’intérêt général « environnement et développement durable ».

A ce stade cependant, certaines interrogations apparaissent. En effet, il ressort du projet présenté par la Chancellerie que celui-ci veut aussi mettre l’accent sur le caractère pédagogique de la procédure envisagée à l’encontre de la « délinquance environnementale ». Il n’est pas certain que ce soit la répression pénale qui revête le caractère le plus pédagogique pour les responsables : à mettre du droit pénal partout, celui-ci perd largement de son effet dissuasif (si chacun est sûr que, quoi qu’il arrive, il commettra une infraction pénale, le caractère inhibant de la peur de la sanction s’effacera).

Le droit pénal de l’environnement n’est pas une matière nouvelle, il essaime dans tout le code de l’environnement. Simplement, au travers de ce projet, la Chancellerie entend systématiser les poursuites et les condamnations pénales en droit de l’environnement.

Une seconde interrogation porte sur les moyens à développer pour mettre en œuvre une telle réforme. En effet, celle-ci nécessiterait mécaniquement un renfort de formation des magistrats dédiés et un accroissement du nombre de ces magistrats. En l’état actuel des moyens dédiés à la Justice et au vu de l’engorgement des tribunaux, il n’est pas évident que les magistrats aient le temps – en plus du reste – de se former et de se dédier spécifiquement à l’environnement. C’est un point à clarifier.

A budget constant, il ne sera pas possible de développer des juridictions véritablement spécialisées ou dédiées à l’environnement.

En effet, si aujourd’hui, les litiges connaissent des délais de traitement trop long, ce n’est pas par manque de spécialisation des magistrats ou des juridictions, c’est d’abord en raison du manque de moyens de cette Justice.

Il est donc indispensable de renforcer les moyens dédiés à la Justice.

En conclusion, on ne peut que saluer cette initiative de la Chancellerie. D’expérience, les dossiers sont mieux traités et plus vite lorsqu’ils sont gérés par des spécialistes. Ceci permettra donc nécessairement d’obtenir des décisions motivées et donc de renforcer l’autorité de la chose jugée. On ne peut que militer pour une spécialisation des professionnels du droit.

Pour autant, il nous semble que la réflexion devrait porter sur la spécialisation de l’ensemble des magistrats sur l’environnement et non seulement des magistrats répressifs. La spécialisation des magistrats est essentielle pour accroître l’efficacité et la rapidité de la Justice ; ne la limitons pas aux seuls magistrats répressifs. Ceci évitera de ne donner qu’une réponse pénale à l’engorgement des tribunaux.

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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