Cette semaine d’appel à la grève contre la loi El Khomri montre une fois de plus que même avec une faible représentativité les syndicats représentent toujours un pouvoir de nuisance. Les méthodes de la CGT pour s’opposer à la loi travail nous rappellent que les syndicats français ont à plusieurs reprises montré leur conception bien peu démocratique des règles devant régir leurs actions, leur représentation dans l’entreprise et leurs modes de fonctionnement interne.
Premier exemple: l’affaire Smart. On se souvient de la position prise par deux des principaux syndicats contre l’avis exprimé par les salariés de cette entreprise en septembre dernier. Alors qu’une majorité de salariés s’était prononcée en faveur d’une nouvelle organisation du travail (passage à 39 heures payées 37 en contrepartie d’une garantie de maintien de l’emploi), la CGT et la CFDT se sont opposées à l’accord signé par les autres organisations syndicales, lequel reflétait le résultat du référendum interne. Elles ont contraint la direction de l’entreprise, qui entendait malgré tout mettre en œuvre la réorganisation de l’entreprise, à passer outre leur opposition, en proposant directement aux salariés concernés la signature d’un avenant à leur contrat de travail.
Cette opposition à l’avis exprimé par la majorité reflète l’écart qui existe fréquemment entre le discours des syndicats prônant une plus grande démocratie dans l’entreprise et leurs actes lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre ces principes, notamment lorsque le résultat de la consultation démocratique n’est pas conforme au Dogme, seule valeur qu’il convient, à leurs yeux, de respecter.
Deuxième exemple: le recours de FO devant le Bureau international du travail (BIT) contre la loi sur le dialogue social de 2008. FO conteste avec succès devant le BIT la condition posée par cette loi selon laquelle un salarié ne peut désormais être désigné comme délégué syndical par une organisation syndicale représentative que s’il justifie de s’être présenté aux élections professionnelles internes et d’avoir obtenu 10 % des voix dans son collège. Pour le syndicat FO, cette obligation de devoir justifier d’une certaine légitimité électorale n’est pas acceptable et s’avère contraire à l’article 3 de la convention OIT no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.
Pour justifier sa réclamation, le syndicat considère qu’il est le seul capable de choisir celui, parmi les salariés, qui aura vocation à négocier les accords d’entreprise avec l’employeur et que toute condition posée à cette capacité constitue une entrave à la liberté syndicale.
S’il est vrai que conditionner la légitimité d’un délégué syndical à un minimum d’audience électorale aux élections professionnelles restreint la liberté de choix du syndicat, la position de FO reflète là encore le peu d’intérêt que ce syndicat accorde aux principes démocratiques et à l’avis de ses mandants.
Dernières illustrations en date:
– les conditions dans lesquelles Philippe Martinez se voit «réélire» au poste de secrétaire général de la CGT après avoir été «élu» une première fois en dehors de tout congrès pour remplacer Thierry Lepaon, contraint à la démission après des révélations sur son train de vie. Beaucoup ont salué le 22 avril dernier «la réélection» de M. Martinez, peu ont noté qu’il n’avait pas de concurrent et qu’il a donc été élu avec un score de 95,4 %, digne des pays les plus «démocrates» ;
– les pressions inacceptables de la CGT du livre sur les rédactions des quotidiens nationaux afin de leur imposer la parution du tract de M. Martinez, en parfaite violation de la liberté de la presse, liberté manifestement beaucoup moins respectable aux yeux des syndicalistes CGT.
L’ensemble de ces exemples reflète le mépris des syndicats à l’égard des principes démocratiques dont ils ne cessent pourtant de réclamer le respect dans les entreprises et plus généralement dans la sphère sociétale et politique. Cette situation paradoxale les disqualifie aux yeux d’une majorité de Français et justifie l’émergence de modes de représentations des salariés plus directs.
Sans réaction de sa part tant dans ses modalités de gouvernance interne que dans ses pratiques (il est par exemple inadmissible que les mouvements de grève continuent d’être votés lors des assemblées générales à main levée ou que les syndicats s’opposent à la mise en œuvre de programmes électoraux ayant été votés par les Français en recourant systématiquement au blocage du pays), le syndicalisme français poursuivra sa lente mais constante agonie et la réforme du pays continuera d’être entravée par les psychodrames comme celui que nous connaissons actuellement.
Les organisations syndicales actuelles seraient par conséquent bien inspirées de prévenir, en adoptant des mécanismes démocratiques irréprochables, l’apparition de modalités alternatives de représentation des salariés si elles persistent dans leur immobilisme actuel en parfaite contradiction avec l’inéluctable soif de démocratisation et de transparence de nos concitoyens.
Oui au changement des comportements syndicaux, oui au renouveau des organisations syndicales! À défaut, le syndicalisme français sera à son tour «ubérisé».