« Cordonnier, pas plus haut que la chaussure », avait dit le peintre Apelle à un passant qui critiquait la façon dont il avait représenté la sandale dans son tableau. Un rappel à l’ordre qu’il serait bienvenu de faire aussi à tout ceux qui se piquent de parler économie à tort et à travers, sur les ronds-points ou ailleurs.
On le sait, le libéralisme est le grand Satan des médias français. Pas une journée ne passe sans qu’un éditorialiste, quand ce n’est pas un ministre ou un élu quelconque, n’accuse le libéralisme (qu’il soit néo, ultra, turbo…) d’être à l’origine de tous les malheurs du monde. Le niveau de l’argumentation dépasse rarement le zéro absolu, mais la dénonciation n’a pas besoin d’être solide pour faire mouche. Les sophismes économiques les plus grossiers font d’ordinaire l’affaire : corrélations implicitement érigées en causalités, intox officialisées par quelque officines militantes (Oxfam, quand tu nous tiens), confrontation absurde de chiffres sans rapports, confusion entre stocks et flux, réduction des alternatives à la confrontation binaire du paradis collectiviste et de l’enfer individualiste, etc. Il est toujours plus difficile d’opposer à ces « analyses » la subtilité et les nuances d’une réalité où les facteurs sont légion et les rapports entre les phénomènes d’une grande complexité.
Les marchands d’orviétan économique ne connaîtraient pas un tel succès si elle ne leur livrait pas un auditoire prêt à tout entendre
Tous compétents. Il n’y a pas de pire ignorant que celui qui croit savoir. Le vrai problème de l’économie n’est pas que les gens n’y comprennent rien : il est que chacun est persuadé d’y comprendre quelque chose ! Le drame est celui de toutes les disciplines qui touchent les gens au quotidien. Tout le monde se sent compétent pour parler d’économie parce que tout le monde utilise de l’argent. Exactement comme, en matière d’éducation, tout parent a une opinion sur la meilleure pédagogie à suivre. De la même façon, les médecins voient désormais arriver dans leur cabinet des patients qui, forts de quelques minutes passées sur Doctissimo, viennent confronter leur propre diagnostic à celui du praticien.
Les conséquences politiques de cette ignorance qui s’ignore sont dévastatrices. Les marchands d’orviétan économique ne connaîtraient pas un tel succès si elle ne leur livrait pas un auditoire prêt à tout entendre. Pire encore : c’est à cause d’un tel aveuglement où des idées simplistes tiennent lieu de maximes que les projets les plus absurdes ont pu être formulés, et parfois mis en œuvre : taxation de l’excédent brut d’exploitation ou des robots, encadrement des loyers, taux d’imposition à 100%, imposition égale du capital et du travail…
Il ne s’agit pas de suggérer que le bon peuple devrait écouter religieusement les oracles des experts patentés. Au contraire. La liberté stupéfiante avec laquelle tout un chacun parle d’économie n’est pas sans lien avec le problème du négationnisme économique soulevé par Zylberberg et Cahuc au prix d’une immense polémique, et dont le pendant sociologique a été brillamment mis en évidence par Bronner et Géhin dans Le Danger sociologique. Mieux formés à l’économie, les Français pourraient opposer aux discours les plus caricaturaux les haussements d’épaules et l’indifférence qu’ils méritent. Ils ne grossiraient pas la foule des crédules qui suivent avec passion certains Diafoirus de l’économie qui ont parfois leur rond de serviette sur les plateaux et font de l’augmentation des dépenses de l’Etat la panacée aux maux économiques de la France.