Emploi : penser la complexité et la proximité

« La question des transitions professionnelles apparaît de plus en plus prégnante » a rappelé le ministère du Travail à l’occasion du déploiement du dispositif « Transitions collectives » au soutien de projets de reconversion, officiellement lancé le 1er février dernier.

Au-delà de l’acquisition de compétences porteuses sur le marché de l’emploi, la création de liens entre les acteurs économiques sur un même territoire, fondée sur un nouveau niveau de négociation collective, est fondamentale pour identifier les opportunités concrètes de mobilité professionnelle.

À l’instar des pôles de compétitivité créés en 2004 pour les projets de développement économique pour l’innovation, la création de pôles de compétitivité territoriaux pour l’emploi mérite d’être considérée, sur le modèle de la solution conjoncturelle de plateforme territoriale d’action pour l’emploi mise en place récemment pour accompagner les salariés du site de Bridgestone à Béthune.

La crise économique, avec son lot d’incertitudes et de défis, suppose de repenser nos modèles, en passant d’une pensée simplificatrice, fondée sur des préférences ou des croyances, à une pensée qui relie. Ce travail de « reliance », hors des silos habituels qui structurent encore nos modes de pensée et d’actions, apparaît aujourd’hui essentiel en matière d’emploi, au regard des enjeux de mobilité professionnelle qui se posent.

Ces enjeux sont d’autant plus forts face aux objectifs d’une réindustrialisation 4.0 et d’une économie de progrès techniques, qui ne manqueront pas d’accentuer le biais en faveur de la qualification marquant un marché du travail polarisé.

En effet, si on ne constate pas un déversement de l’emploi vers les emplois moins qualifiés, selon la dernière étude de France Stratégie, il n’en reste pas moins que les qualifications médianes (ouvriers et employés qualifiés) s’érodent, au profit des professions de cadres, professions intermédiaires et de techniciens. Les recrutements se font à un niveau plus élevé que celui d’ouvrier qualifié.

Ce déplacement des qualifications vers des emplois à haute valeur ajoutée va s’accélérer avec les nouveaux modèles économiques qui seront déployés au sortir de la crise, portés par les enjeux technologiques et environnementaux. Les dernières prévisions de l’Apec confirment cette tendance, avec une stabilité des intentions d’embauches de cadres pour le premier trimestre, malgré la crise, et la volonté marquée par les industriels d’étoffer leurs effectifs de cadres à court terme.

Il faut y voir un élan positif, qui renforce non seulement les exigences de formation, mais encore de création d’écosystèmes facilitant les mobilités professionnelles, transformant les actions de formation mises en œuvre.

C’est sur cette dernière exigence que le travail de reliance doit être fait, et avec lui les efforts d’irréductibilité (pour ne pas réduire son appréhension des sujets à une dimension), de dialogique (pour penser les complémentarités), d’acceptation du désordre, de stratégie (pour rester en vigilance sans céder aux certitudes) et de pari. Autant de principes de la pensée complexe, essentiels au regard des enjeux à venir du marché du travail.

S’agissant ainsi de relier sans réduire, à un secteur, à un métier, la socio-économie de proximité donne des clefs. En effet, il en ressort que la création de proximités organisationnelles, porteuses de rapprochements et d’interactions, s’appuie à la fois sur une proximité spatiale, et sur une complémentarité des valeurs, des organisations et des techniques (proximité de ressources cognitives), et des actifs (proximité de ressources matérielles).

Ces proximités doivent être conjuguées au soutien des enjeux en matière d’emploi, plaidant pour la création à l’échelle territoriale d’espaces intersectoriels de mobilités professionnelles.

On peut trouver une illustration de cette approche dans le « dispositif d’expérimentation territoriale intersectorielle pour l’emploi » prévu par le contrat stratégique de la filière Agroalimentaire signé en novembre 2018, qui permet la création d’un espace de mobilités professionnelles entre industries alimentaires et métallurgie au niveau de certains territoires.

Ces espaces territoriaux de médiation, de mise en relation, doivent nécessairement inclure les entreprises du territoire, pour mobiliser leurs complémentarités et leurs besoins.

À cette fin, la mise en commun de leurs accords de Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels et de leurs analyses, portées dans le cadre de la consultation annuelle du CSE, sur les conséquences des orientations stratégiques sur l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages, leur donnera un effet utile. De quoi apporter des externalités positives à des obligations imposées par la loi pour répondre à des enjeux internes.

À ces acteurs économiques seront adjoints les acteurs locaux de l’emploi, organismes de formation et organismes consulaires à titre de ressources de médiation pour renforcer des proximités de coordination.

La création de la plateforme territoriale « Action pour l’Emploi », mise en œuvre pour accompagner les salariés du site de Bridgestone à Béthune et démultiplier les opportunités de reclassement, en liant et en mobilisant les acteurs locaux et les entreprises des territoires, s’inscrit dans ce cadre.

Toutefois, au regard des enjeux, au-delà de mesures expérimentales ou de réponses conjoncturelles à des difficultés ponctuelles, il faut envisager la pérennisation d’écosystèmes territoriaux de mobilités professionnelles intersectorielles, portant une dynamique de transfert de compétences et d’emplois.

Pour créer ces proximités, un nouveau niveau de négociation collective, territoriale, mériterait par ailleurs d’être défini et organisé, afin d’impliquer toutes les parties prenantes intéressées au dynamisme d’un territoire.

Une telle pérennisation apparaît d’autant plus essentielle que les outils de restructuration « à froid » (que sont la mobilité volontaire sécurisée, le congé de mobilité, la rupture conventionnelle collective) mobilisables en période de crise et offrant une alternatives aux licenciements reposent sur le volontariat et présupposent donc une solution professionnelle identifiée. À défaut, ces dispositifs perdent de leur efficacité et de leur utilité.

Les restructurations « à chaud » peuvent également être concernées. L’obligation légale de revitalisation des bassins d’emploi, imposée à certaines entreprises et visant à soutenir l’activité économique, et la création d’emplois de territoires dont l’équilibre est affecté par l’ampleur de certains licenciements collectifs économiques, mériterait d’être modernisé. En effet, cette obligation est en pratique principalement perçue comme une charge financière par les entreprises, qui concentrent leurs efforts à la mesure de l’ampleur de l’impact de leur projet pour réduire le niveau de leur contribution. Déjà en 2015 la Cour des comptes tirait un bilan mitigé dans un rapport d’enquête réalisé à la demande de la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Parmi les dysfonctionnements relevés, la question de l’implication des entreprises était posée, de même que celle de l’insuffisance de la mesure de l’efficacité du dispositif.

La création de plateformes de mobilités professionnelles, avec parcours de formation et d’insertion pour l’accompagnement de projets de licenciements collectifs économiques, pourrait répondre à ces enjeux.

Dans ce questionnement de l’efficacité des mesures mises en œuvre, le dispositif « Transitions collectives », lancé ce 1er février au niveau territorial pour porter les reconversions professionnelles des salariés dont l’emploi est menacé, gagnera en efficacité si des offres de recrutement étaient identifiées, des relations créées et des parcours d’insertion définis, dans le cadre d’espaces conventionnels de mobilité professionnelle.

La transition dont il est question ne peut pas se limiter à un état intermédiaire, mais doit revêtir son acception première de passage, d’un emploi à l’autre dans ce cas.

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Alexandre Lamy

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Avocat au Barreau de Paris depuis 2004, il est spécialisé en Droit du travail, diplômé des Universités de Paris X-Nanterre, Paris II Panthéon-Assas et de Cambridge. Il est associé et co-fondateur du cabinet Arsis Avocats, entièrement dédié au droit social des affaires.

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