Rares sont aujourd’hui les nations indépendantes sur le plan énergétique. Produisant et consommant son propre charbon, la Chine est en revanche dépendante à 70% de ses importations pétrolières en provenance du Moyen Orient. Même les Etats-Unis qui grâce aux hydrocarbures de schistes sont quasi autonomes en pétrole et exportateurs majeur de gaz (notamment vers l’Europe sous forme de GNL) sont dépendants des importations d’uranium pour produire leur électricité nucléaire. Le degré d’indépendance énergétique d’un pays est donc variable en fonction de son mix énergétique toujours largement influencé par ses ressources propres. Ce n’est pas un hasard si l’Arabie Saoudite continue de produire son électricité en brûlant du pétrole. Quant à la Russie son mix énergétique est sans surprise majoritairement gazier.
Ne recélant que très peu hydrocarbures, les nations européennes sont aujourd’hui dépendantes à 95 % de leurs importations pétrolières et gazières. Même constat pour le nucléaire : la France est dépendante à 100% de ses importations d’Uranium. Cela ne signifie pas pour autant que l’Hexagone ne maîtrise pas son avenir énergétique. A l’indépendance se superposent deux autres concepts tout aussi stratégiques : la sécurité et la souveraineté énergétique.
En première lecture, une nation énergétiquement indépendante est par construction sécurisée et souveraine. Mais, cela n’a pas que des avantages. Confortablement assises sur leurs ressources, les « économies de rente »[1] sont souvent victimes de la célèbre « maladie hollandaise »[2]. Reposant principalement sur l’extraction de ressources minières et non sur la valeur ajoutée créée par l’industrie, le commerce ou les services, les économies de rente mobilisent tout l’investissement dans le secteur énergétique au détriment des autres secteurs. Créant de facto une économie peu diversifiée elles dédaignent les activités productrices en faveur de profits spéculatifs et de l’importation massive de produits manufacturés. Excepté la Norvège, la plupart des pays pétroliers et gaziers (notamment africains) ont été victimes de la maladie hollandaise.
Pour limiter l’impact de sa dépendance énergétique, une nation doit en priorité assurer la sécurité de son approvisionnement. Une fois sa sécurité assurée, elle peut alors décider souverainement du mix énergétique le plus approprié pour sa population et son économie. La souveraineté énergétique d’un pays dépendant est donc une conséquence directe de sa sécurité. Cette sécurité repose sur quatre piliers.
Le conflit russo-ukrainien a démontré comment un fournisseur historique de gaz lié par des contrats long terme rédigés en bonne et due forme pouvait, en quelques semaines, se transformer en un partenaire infréquentable et mettre à mal la sécurité énergétique du Vieux Continent. De la même façon l’uranium nigérien que la France importe depuis plusieurs décennies reste une ressource à haut risque menacée par les incursions récurrentes de groupes islamistes extrémistes. Chaque fournisseur doit donc faire l’objet d’une analyse régulière des risques (risque économique, politique intérieure, conflit régional). La fiabilité des fournisseurs est donc le premier pilier.
La sécurité énergétique est aussi étroitement liée à la sûreté des trajets d’approvisionnement (second pilier). Ainsi suffirait-il de couler deux gros navires dans le resserré détroit de Malacca pour mettre à genoux l’approvisionnement pétrolier Chinois. Un pays ayant accès à la mer possède un avantage déterminant sur ses voisins enclavés. Ainsi en Europe la sécurité énergétique de pays comme la Suisse, l’Autriche ou la République Tchèque peut être mise à mal par la seule volonté de ses voisins. L’exemple le plus connu est celui du Népal. Sans aucune ressource minérale ni accès à la mer, son approvisionnement énergétique est entièrement dépendant de son « grand frère indien ». En 2015, jugeant la politique du nouveau gouvernement népalais en déphasage avec leur vision, les autorités indiennes mirent le Népal sous embargo pétrolier et gazier. Après le tremblement de terre catastrophique du 25 Avril 2015 qui avait ravagé une partie du pays, ce blocus a fortement pénalisé le tourisme qui représente la première source de devises du Népal et une part significative de son PIB.
Le troisième pilier est bien évidemment la diversification de l’approvisionnement. Même si son fournisseur est hyper fiable, une nation doit éviter à tout prix le piège mono-fournisseur et étudier parallèlement à sa stratégie primaire un ou plusieurs back- up en cas de défaillance inattendue. En important la quasi-totalité de son gaz de Russie sans réel back up, l’Allemagne a pris des risques inconsidérés qu’elle a payé cash même si l’aide de ses voisins bienveillants (dont la France) en ont atténué les effets.
Enfin, toutes les sources d’énergie ne confèrent pas à une nation la même sécurité énergétique. Ainsi le pétrole qui se transporte aisément par voir maritime ou terrestre (train et route) est aisément « interchangeable ». C’est la raison pour laquelle l’embargo sur le pétrole russe a eu très peu d’impact sur les marchés pétrolier mondiaux. Il conduisit à un jeu de « chaises musicales » à volume constant : le pétrole russe n’étant plus acheté par les Européens transita vers la Chine et l’Inde pour finalement se retrouver en Europe sous forme de produits raffinés.
Le cas du gaz est en revanche très différent. Son transport par gazoduc figeant les points de départ et d’arrivée, le consommateur est physiquement lié au producteur. Il ne pourra s’en dégager qu’après avoir construit une route différente ce qui prend généralement plusieurs années. L’alternative est le Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Transporté par méthanier, il nécessite dans le pays consommateur un accès à la mer ainsi que des terminaux de regazéification. Durant le conflit russo-ukrainien la France (qui possède quatre terminaux) a pu aisément remplacer une grande partie du gaz russe par du GNL américain. En revanche les Allemands qui n’en possèdent aucun (les Verts s’y sont toujours opposés) se sont vus obligés de compter sur le bon vouloir des Français acceptant de rerouter vers l’Allemagne une partie du GNL américain regazéifié.
L’approvisionnement n’est pas la seule composante de la sécurité énergétique, l’autre étant la stabilité des prix. Un approvisionnement parfaitement sécurisé dont les prix varient de façon incontrôlée peut fortement affecter la souveraineté d’une nation. Et sur ce point toutes les énergies ne se valent pas.
Ainsi en est-il du pétrole. L’avantage de sa mobilité cache l’inconvénient de l’instabilité de ses cours mondiaux qui peuvent s’avérer très instables avec toutes les conséquences économiques et sociales pour les pays consommateurs. Au contraire du pétrole, les prix du gaz peuvent se négocier sur le long terme entre un producteur et un consommateur. A nouveau les inconvénients sur l’approvisionnement deviennent des avantages sur les prix.
Un exemple intéressant est celui du nucléaire qui confère la double sécurité temporaire à une nation et ce même si cette dernière ne produit pas d’Uranium. En effet d’une part lorsqu’un réacteur a été chargé de combustible il est autonome pendant deux à trois ans. D’autre part, l’atome est un secteur où le prix du MWh repose à 95% sur les investissements (le prix de construction du réacteur) alors que le prix du combustible compte seulement pour 5%. En cas de flambée de l’Uranium, l’impact sur le prix du MWh reste donc marginal. Ce double avantage confère au nucléaire un statut particulier : il assure à une nation non productrice une souveraineté bien supérieure.
Ne faisant appel à aucun combustible, les énergies renouvelables (le soleil et le vent appartiennent à tout le monde !) seraient les seules à garantir 100% de la sécurité énergétique d’une nation non productrice de ressources minérales. La proposition s’avère fausse dans la mesure où la plupart des équipements dédiés (éoliennes, panneaux solaires mais aussi véhicules électriques) réclament nombre de métaux critiques (cuivre, cobalt, platine, métaux rares…) dont les marchés sont contrôlés à 80% par la Chine. Contrairement à une idée reçue, l’évolution vers un mix énergétique renouvelable ne confère pas à une nation une pleine souveraineté énergétique. Elle déplace sa dépendance pétrolière & gazière vers une dépendance minière (exception faite de l’hydroélectricité qui demeure aujourd’hui la source d’énergie « quasi parfaite » – pas de combustible, pas d’intermittences, pas de métaux critiques, pas d’émissions de CO2-). Une société « tout renouvelable » n’accroit pas la souveraineté, elle la réduit.
La souveraineté énergétique d’une nation repose d’abord et avant tout sur un mix énergétique diversifié ainsi que des fournisseurs fiables et multiples liés par des contrats sur le long terme. Dans la hiérarchie des énergies, l’hydroélectricité et l’atome sont les incontestables champions que le Général de Gaulle, pour qui la souveraineté nationale était une valeur suprême, avait impulsés dès son accession au pouvoir en 1958. Le Président Pompidou l’avait également bien compris en lançant le plan Messmer à l’aube des années 1970. Une vision qui fait aujourd’hui tellement défaut au sein d’un monde politique gangréné par l’idéologie verte dominante.
[1] Ainsi appelle-t-on les pays dont l’économie est principalement basé dur des revenus liés à la vent de ressources minérales
[2] Dutch disease en anglais. Elle fait suite à la découverte du champ gazier de Groningue dans le nord des Pays-Bas