L’intérêt que suscite la bioéthique est aujourd’hui immense. Nombreux sont ceux qui s’y investissent, du citoyen au politique, en passant par le monde médical et scientifique, sans oublier celui de la philosophie et du droit. Tout le monde a son mot à dire, l’exprime et souhaite être entendu. Force est de constater que le résultat relève davantage d’une cacophonie passionnelle, que d’un débat raisonné. La raison est simple : la bioéthique est une discipline académique à part entière, qui n’est pourtant pas considérée comme telle.
Ce point est essentiel. Il ne viendrait, a priori, pas à l’idée d’une personne, pour une consultation médicale, de ne pas consulter un médecin. Pourtant, c’est bel et bien ce qui se passe en bioéthique. Nous demandons à des personnes sans formation en bioéthique leur avis sur des problèmes de bioéthique. La bioéthique, au même titre que la médecine, est une discipline académique à part entière et doit être considérée, par tous et chacun, comme telle.
Survie de l’espèce humaine
Mais quelle discipline ? Relève-t-elle du droit et de la philosophie morale, et recherche-t-elle le bien ? Ou relève-t-elle de la science et recherche-t-elle la vérité ? La réponse est loin d’être évidente. Elle demande pourtant aujourd’hui, plus que jamais, une réponse claire et précise. La nôtre est que la bioéthique recherche la vérité, plutôt que le bien, et donc relève de la science, plutôt que du droit, ou de la philosophie morale. Cela étant dit, pour quelle raison, et de quelle manière ?
Rappelons que l’éthique et la morale, jusqu’à l’époque moderne, étaient peu, voire pas, différenciées. Il faut attendre différents penseurs, comme Baruch Spinoza, pour que la distinction se produise nettement. Selon le philosophe français André Comte-Sponville, l’éthique répond alors à la question « comment vivre ? », tandis que la morale à la question « que dois-je faire ? ». Mais subsiste finalement toujours cette idée de rechercher le bien. Qu’en est-il de la bioéthique ?
La bioéthique se constitue justement en rompant progressivement avec l’éthique et la morale. La finalité n’est plus la recherche du bien, au sens philosophique du terme, mais la recherche de la survie de l’espèce humaine. Face aux révolutions scientifiques, médicales et industrielles, et au carnage des deux guerres mondiales, se pose la question de l’impact de ces nouvelles connaissances et techniques, aux apparences quasi-démiurgiques, sur les différentes sociétés humaines. La bioéthique ne recherche donc plus le bien : elle recherche désormais la vérité
Une vraie science
Face à ces phénomènes complexes que sont, par exemple, les tests génétiques, la recherche sur l’embryon, la procréation médicalement assistée ou l’intelligence artificielle, la bioéthique cherche à déterminer les bénéfices et les risques réels, ou potentiels, pour les sociétés humaines ; c’est-à-dire de savoir s’ils impactent positivement, ou négativement, leur survie. Mais cet exercice ne peut être réellement efficient sans une véritable compréhension des phénomènes étudiés.
Ainsi, la bioéthique est devenue une science ; une science, non pas fondamentale, ni même appliquée, mais opérationnelle et prospectiviste. Elle doit alors créer et développer des méthodes, scientifiques, de recherche qui lui permettront d’observer et de comprendre ces phénomènes cités précédemment, afin de mieux déterminer leur impact sur la survie des sociétés humaines ; mais surtout, de trouver des solutions qui permettront de limiter les effets négatifs, et d’amplifier les effets positifs.
Et comme toute discipline, scientifique, académique à part entière, la bioéthique a besoin de laboratoires propres, de chercheurs spécialisés que sont les bioéthiciens et d’enseignement de qualité à l’université, ou dans les grandes écoles. La bioéthique ne relève ni du droit, ni de la morale ; ni même de l’éthique. La bioéthique est une science, et doit être considérée comme telle ; une science opérationnelle et prospectiviste, aidant à la survie des sociétés humaines.
Henri-Corto Stoeklé est bioéthicien, chercheur postdoctoral au laboratoire Neglected human genetics (NHG) et expert à l’Institut Sapiens. Guillaume Vogt est généticien, chargé de recherche à l’Inserm, directeur du NHG, expert à l’Institut Sapiens.