La crise actuelle impose la construction d’une Europe de la santé

« Abracadabra ». Après un an et demi de pandémie et de désillusions sur leur capacité respective à y faire front, la France et l’Union européenne cherchent toutes les deux, chacune à leur niveau, la formule magique pour faire front aux prochaines crises sanitaires et environnementales. Leur source d’inspiration est la même. Elle vient des Etats-Unis avec la Barda (pour Biomedical advanced research and development authority), une agence publique mise en place en 2006 suite à la psychose causée par les attaques à l’anthrax, bacille mortel du charbon.

La Barda assure, grâce à de puissants leviers financiers, le soutien des industriels, petits et grands, pour accélérer le développement de leurs traitements, avec en corollaire un droit de regard sur les fruits de leurs recherches, et un accès et une livraison rapides des produits de santé innovants issus de ces recherches. Le développement de vaccins anti-Covid-19 en vitesse accélérée, grâce à un soutien financier sans précédent, a démontré la puissance du modèle.

C’est cette double dimension « d’incubateur » et de « réserve sanitaire » qui constitue le modèle des deux initiatives, l’une prise par la Commission européenne avec l’annonce en septembre 2020 de la mise en place en 2023 de l’Health emergency preparedness and response authority (Hera) et l’autre prise par la France, avec l’installation début 2022 de l’Agence innovation santé (AIS), annoncée par Emmanuel Macron le 29 juin.

Barda européenne et Barda française, donc ? Initiatives parallèles, concurrentielles ou concertées ? Deux citations bien connues d’Isaac Newton, philosophe et mathématicien, semblent parfaitement résumer la situation, les risques encourus et la stratégie à suivre. La première, « Nous construisons trop de murs et pas assez de ponts », rappelle la tentation de « jouer perso » à laquelle succombent souvent les membres de l’Union européenne. Le bilan de la gestion désordonnée de la pandémie, en particulier dans sa première phase, est là pour nous le rappeler. En actant un repli national, en ne mettant pas en place de support solide de collaboration avec le tissu industriel, on reste « petit bras ». Et faute d’envergure suffisante, de force de frappe et de pouvoir de conviction et de dissuasion, chaque pays joue perdant.

Morcellement. Par contraste, la seconde citation éclaire la voie à suivre : « Lorsque deux forces sont jointes, leur efficacité est double ». Le périmètre de l’AIS est en cours de tracé. Beaucoup est attendu de ce nouvel acteur, le risque étant que l’ambition soit trop grande. Le Président entend lui confier un « pilotage unifié et identifié » pour pallier le morcellement de la recherche, simplifier les processus de décision, et, d’une manière générale, superviser la réalisation du plan Innovation 2030.

Même s’il y a beaucoup à faire, la dimension nationale ne doit pas occulter l’ouverture européenne et les actions de l’AIS doivent être définies et conduites en écho de celle de l’Hera et vice-versa, selon les principes de coordination et de subsidiarité. Si la santé reste encore une simple compétence d’appui de l’Union européenne, chaque pays conservant sa pleine souveraineté – par opposition avec d’autres domaines où l’UE dispose d’une compétence exclusive ou partagée –, l’impact et la profondeur de la crise actuelle impose la construction d’une Europe de la santé. Le duo Hera/AIS doit en être l’une des fondations.


Publié dans l’Opinion

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Vincent Diebolt

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Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.

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