Décollage imminent pour la crypto-monnaie chinoise. Beaucoup parlent d’une sortie le jour de « la fête des célibataires », le 11 novembre, ce qui n’est pas anodin. L’an dernier, Alibaba avait réalisé un chiffre d’affaires de 27 milliards d’euros durant cette seule journée.
Le Président Chinois a le mérite d’être pragmatique : il parie sur les nouvelles technologies pour propulser son pays au rang de la première puissance mondiale au cours des prochaines années. À ses yeux, la Blockchain serait « une des technologies les plus importantes pour l’avenir du pays ». Et c’est désormais un fait : la Chine sera le premier pays à lancer sa crypto-monnaie étatique.
Or, ce projet ne sera pas simplement un nouveau moyen de paiement. Il constituera un véritable outil géopolitique pensé par le gouvernement chinois pour dynamiser l’économie du pays, accompagner son extra-territorialisation, et renforcer le contrôle politique du gouvernement. Faut-il s’en inquiéter ?
Comment fonctionnera le crypto-yuan ?
En Chine, rien n’a été négligé pour laisser la voie libre au développement du crypto-yuan. Toutes les crypto-monnaies pouvant lui faire de l’ombre y sont interdites, comme le bitcoin. Les fermes de minage de crypto-monnaies ont dû fermer ou s’installer ailleurs. Contrairement au Libra de Facebook, ciblé par les régulateurs du monde entier, nul pouvoir juridique ou politique ne freinera le projet monétaire de l’Empire du Milieu, du moins sur son territoire.
La capacité planificatrice de l’État rend l’implémentation de cette monnaie numérique rapide et efficace. Pour la diffuser à la population chinoise, plusieurs géants sont désignés, dont le géant du commerce en ligne Alibaba, le poids lourd des jeux en ligne Tencent, et le moyen de paiement le plus utilisé par les chinois, Union Pay. Sans compter la plus grande banque du monde, la Banque Industrielle et Commerciale de Chine, et les autres banques principales du pays. Ces « partenaires » n’auront d’autres choix que d’intégrer le crypto-yuan dans leurs services, tandis que la banque centrale chinoise, chapeautée par le gouvernement, aura le monopole de l’émission monétaire.
C’est une nouvelle étape dans l’histoire des paiements en Chine. Cette crypto-monnaie accélérera l’avance déjà conséquente de la Chine par rapport aux occidentaux sur ce plan. Les paiements en espèces y ont quasiment disparu, la plupart ont été remplacés par des solutions numérisées via un simple smartphone grâce aux systèmes implémentés par les mastodontes Alibaba et Tencent. Le crypto-yuan va renforcer la numérisation de l’économie chinoise en remplaçant intégralement la monnaie physique et en diminuant les coûts opérationnels.
Bien plus qu’un nouvel outil de paiement, une arme financière et politique
À mesure que le crypto-yuan se disséminera dans l’économie chinoise, les paiements liquides disparaitront. Mais l’intérêt de ce crypto-yuan ne s’arrête pas là.
Sur le plan financier, ce projet doit se mesurer à l’échelle des relations internationales. De nos jours, pratiquement tous les échanges commerciaux font intervenir le dollar contre une autre devise. Il pèse 40% des échanges mondiaux contre 2% pour le yuan, ce qui consacre la toute puissance de l’État fédéral. Aujourd’hui, cette domination est remise en cause.
Pour les dirigeants chinois, le crypto-yuan est un moyen de réduire leur dépendance économique au dollar et de court-circuiter les sanctions économiques américaines dans un contexte de guerre commerciale féroce. L’objectif du gouvernement n’est donc pas uniquement de rendre le crypto-yuan accessible à 1,3 milliards de citoyens chinois, mais de le déployer dans le commerce mondial, notamment à travers les routes de la soie. La Banque Centrale chinoise « espère même qu’elle sera accessible aux États-Unis ».
D’un point de vue politique, le crypto-yuan renforcera le contrôle du pouvoir central sur sa population en lui fournissant des données précises sur leurs comportements d’achats, faisant de cette nouvelle monnaie un véritable outil de surveillance.
On sait les critiques selon lesquelles la Chine est en train d’imposer un « totalitarisme numérique ». Chaque faits et gestes d’un citoyen chinois peuvent être repérés grâce à l’Intelligence Artificielle et la reconnaissance faciale. Ces techniques permettent au pouvoir de noter la population et d’assigner des codes de bonne conduite pour encourager un « bon comportement social ».
En ce sens, la Blockchain aura la même utilité que l’Intelligence Artificielle : celle de collecter des données sur les citoyens, mais cette fois-ci sur leurs achats quotidiens. Quand un citoyen chinois paiera en crypto-yuan, ses données seront inscrites sur une infrastructure numérique centralisée par le gouvernement chinois. Le gouvernement saura avec précision qui paye quoi, quand et où, créant un système où les citoyens sont notés sur la qualité de leurs achats, et où ils verront leurs « note sociale » se dégrader s’ils achètent des produits jugés nocifs ou moins recommandés.
Donc, à mesure que les citoyens chinois utiliseront cette crypto-monnaie, le pouvoir s’immiscera davantage dans leur vie privée en scrutant leurs données. Dans ce cas, la surveillance ne s’exercera pas à travers du hardware (des caméras, qui seront au nombre de 450 millions en Chine dès 2020), mais à travers du software, des systèmes informatisés générant des données ensuite collectées par les autorités centrales.
Certains diront que cette capacité de surveillance va à l’encontre de la nature d’une Blockchain, censée être anonyme, mais il n’en est rien. Les portefeuilles électroniques peuvent être reliés aux identités de chacun. Un citoyen chinois ne pourra pas avoir un portefeuille numérique sans laisser de trace, d’autant plus que le système informatique sera entièrement centralisé par les pouvoirs publics.La capacité qu’auront les autorités chinoises à traçer les achats de chacun sera donc totale.
Le directeur adjoint de la Banque populaire de Chine, Mu Changchun, a beau déclarer que le crypto-yuan « vise un équilibre entre anonymat et lutte contre les activités illégales », cela est difficile à croire si l’on constate l’appétit du gouvernement chinois pour les données personnelles.
Un crypto-euro européen est à la fois essentiel et inévitable
Nous, Européens, sommes pris en étau entre un Libra qui se déploiera dans la plupart des économies mondiales, et une monnaie chinoise qui s’implantera en Europe à travers les routes de la soie.
Désormais, nous attendons l’intronisation de Christine Lagarde, future présidente de la BCE, dont les prises de positions seront décisives. On sait sa vision positive des crypto-monnaies, mais quelques mots prononcés en public ne suffisent pas à construire un projet.
Plusieurs pays européens aux positions souvent divergentes devront se mettre d’accord sur un crypto-euro commun dont le protocole informatique sera « made in Europe ». Sera-t-il distribué par les banques centrales des 27 pays membres ? Nul ne le sait encore. Son modèle reste à définir et les États doivent se mettre d’accord. En Europe, tout reste à faire.