La fin des partis politiques ?

Le nombre d’adhérents des partis politiques traditionnels est descendu à un étiage historique. Celui des militants réellement actifs aussi. Une même crise de confiance frappe le personnel politique (9 % des Français disent avoir confiance en lui) et les mouvements politiques. Selon un sondage Elabe réalisé en 2018, le parti de la majorité présidentielle jouissait d’une bonne image auprès de 33 % des Français, à dix points devant les autres (le PS étant celui qui souffre de l’image la plus dégradée avec un score de 13 %).

Paradoxalement, plus de la moitié de nos concitoyens déclarent dans le même temps s’intéresser à la politique. Le succès du grand débat national, et à sa façon le mouvement des gilets jaunes lui-même, montrent que le désir de participation est fort. Le renouvellement profond du personnel politique a contenté une partie de l’électorat. Mais il ne s’agissait que d’un premier pas. C’est la mécanique traditionnelle de ces écuries à sélectionner des candidats qui provoque désormais un fort rejet.

Les partis politiques n’ont pas vu que les idées étaient premières. Concentrés sur leurs jeux de pouvoir internes, ils ont considéré qu’un programme était un ornement postiche que l’on pouvait ajouter au dernier moment. Ils ont cru qu’un réseau d’élus locaux pouvait faire oublier l’absence de vision. Ils ont payé très chèrement cette erreur par leur chute rapide.

En réalité, l’engagement politique prend aujourd’hui d’autres formes. Plus méfiants à l’égard de « rassemblements » qui n’ont pour but que de faire élire un champion dévoré d’ambitions, les Français sont réticents à s’encarter dans les partis traditionnels. En revanche, on peut observer une vitalité étonnante de la participation politique sous des formes inédites.

Dans la version modernisée de la politique, l’incarnation autour d’une candidature n’est plus le préalable à un programme qui n’en est que l’alibi, mais au contraire la traduction, en bout de chaîne, d’un mouvement d’idées

Dans ce jeu politique renouvelé, les think tanks, cercles de réflexion à buts non lucratifs, jouent un rôle de plus en plus notable. La production d’idées par l’orchestration du travail d’experts est leur cœur de métier. Leur seconde vocation est la diffusion de leurs travaux. Ce faisant, ils en viennent naturellement à organiser des débats où ils font dialoguer universitaires, responsables du monde économique, responsables publics, élus et grand public. C’est ainsi le fil d’un échange tragiquement rompu qui se trouve renoué.

Mouvements citoyens. Producteurs et diffuseurs d’idées, il ne manque plus aux think tanks pour remplacer les partis politiques que leur capacité à rassembler, sur tout le territoire, des groupes de citoyens préoccupés par les grandes questions relatives à la vie de la cité. C’est la voie sur laquelle certains d’entre eux s’engagent, ne se contentant plus de susurrer à l’oreille des puissants, mais se concevant aussi comme des médias et des mouvements citoyens à part entière capables d’installer leur vision dans le débat public.

Dans cette version modernisée de la politique, l’incarnation autour d’une candidature n’est plus le préalable à un programme qui n’en est que l’alibi, mais au contraire la traduction, en bout de chaîne, d’un mouvement d’idées qui aura déjà infusé et fait l’objet d’intenses échanges. Le candidat qui se soumet aux suffrages ne fait qu’exprimer une vision dont il se propose d’être l’instrument de mise en œuvre. La candidature d’Emmanuel Macron a montré qu’un rassemblement pouvait alors sans mal se structurer en quelques mois, grâce aux outils numériques de communication.

Les think tanks ne font pas de politique au sens traditionnel, se gardant en général de soutenir un candidat et de s’identifier à un parti, car leur voix perd alors son poids. En revanche, ils préparent bel et bien la politique de demain.


Publié dans l’Opinion

AUTEUR DE LA PUBLICATION

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