Le 6 février dernier, la Commission européenne s’est prononcée contre la fusion d’Alstom et Siemens. Pour tenter de comprendre ce dossier, voici les enjeux thématiques liés à cette fusion, où les arguments pour et contre sont tous deux présentés.
Principes moraux de la concurrence
POUR
Le contrôle des concentrations, encadré par la Commission Européenne conformément au règlement n° 139/2004, est contraire aux principes moraux d’une société libre. La fusion volontaire de deux firmes, qui n’appartiennent pas à la communauté mais à des entités privées, ne devrait pas être soumise à un examen de la part de la puissance publique. De quel droit bloquer un accord entre des individus libres et consentants qui souhaitent coopérer ? Cette intrusion dans la gestion de leurs affaires privées est injuste pour Alstom et Siemens qui avaient bâti un projet d’avenir commun.
CONTRE
C’est bien le rôle du Commissaire à la concurrence de veiller à ce que la politique industrielle protège le consommateur d’un éventuel abus de pouvoir et les producteurs de la concurrence « déloyale ». Si cette fusion est un choix qui présente des avantages pour les deux parties de l’échange, elle peut avoir des conséquences néfastes pour la société dans son ensemble. Il convient à la Commission de juger de cela.
Taille de la firme, concentration du marché et concurrence
POUR
La taille de l’entreprise est fondamentale dans la compétitivité par les coûts. En accroissant le volume de leur activité, les firmes réalisent des économies d’échelle qui leur permettent de baisser leurs prix. La courbe d’expérience montre bien que les prix décroissent à mesure que les parts de marché augmentent. En fait, lorsque l’industrie est concentrée, la situation avantage tout le monde : les prix moyen est plus bas et la firme réalise plus de profits. Ce qui explique pourquoi le marché mondial actuel est oligopolistique. De même, l’augmentation des profits réalisés permet d’investir dans des projets d’innovation encore plus ambitieux. L’entité fusionnée n’aurait eu aucun intérêt à augmenter ses prix ou proposer des produits moins innovants que ses compétiteurs, ces derniers en auraient été les uniques bénéficiaires. Les deux firmes prévoyaient d’ailleurs de diminuer leurs coûts. Selon le patron de la SCNF Guillaume Pépy, « le projet permettait d’obtenir une meilleure compétitivité, et donc de meilleurs prix parce que les équipements auraient été construits à une plus grande échelle ». Cette fusion se serait donc accompagnée d’économies d’échelle (de l’ordre de 800 millions d’euros) qui aurait eu l’effet complètement inverse de celui prévu par la Commission.
CONTRE
La fusion de deux entreprises concurrentes peut conduire à un affaiblissement de la concurrence et confère à la firme issue de cette fusion un pouvoir de marché considérable et quasi monopolistique. Les conséquences seraient dans ce cas une augmentation des prix, un relâchement de l’innovation et un choix restreint. Tout cela au détriment des consommateurs et des producteurs des autres pays européens qui sont aussi clients de ces sociétés – il ne faut pas oublier que l’Union Européenne ne sert pas uniquement les intérêts de la France et de l’Allemagne, mais de ses 27 pays membres. En prenant comme périmètre de référence le marché européen, la Commission juge donc que la fusion aurait donné à la firme une position dominante incontestable en lui permettant de contrôler 70% des parts de marché européennes. La pression compétitive exercée par les 30% restantes aurait été trop faible pour assurer une compétition effective et égalitaire. De plus, la concurrence que se jouent les firmes à l’intérieur de l’Europe les arme pour être également plus compétitives à l’international. Ainsi, l’intensité de la concurrence au sein de l’espace européen déterminerait la future réussite des firmes à l’international. Par exemple, les nombreux succès du Japon dans l’exportation d’automobiles ou dans l’électronique proviennent d’industries dans lesquelles la concurrence domestique est intense. Il est donc plus important de protéger les consommateurs européens plutôt que de se doter d’un géant international.
Le marché de référence
POUR
Le marché de référence est le marché mondial. Si l’Europe veut être compétitive à l’échelle mondiale elle doit favoriser l’émergence de géants européens. Cet accord est né de la prise de conscience des deux concurrents européens qu’il était dans leur intérêt de coopérer pour faire face à une menace plus grande. Le géant chinois CRRC qui représente 21% du marché mondial, 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires et reçoit des subventions à volonté du parti communiste, pourrait ne faire qu’une bouchée d’Alstom et Siemens s’il décidait de s’attaquer au marché européen. La question n’est pas celle de la disparition de la concurrence intra-européenne mais de son passage à l’échelle mondiale. L’enjeu est donc aussi un enjeu de souveraineté économique. L’existence d’un géant européen permet au continent de ne pas être dépendant de la situation géopolitique et du bon vouloir de certaines firmes quasiment nationalisées. Ce cas rappelle d’ailleurs celui d’Airbus qui est né de la fusion de quasiment tous les constructeurs français, espagnols et allemands pour faire face au géant américain Boeing.
CONTRE
Les producteurs chinois ne sont actuellement pas présents sur le marché et rien ne laisse penser qu’ils projettent d’investir le marché européen (l’entreprise réalise 90% de son CA sur le sol chinois). Même si l’envie se manifestait, cela leur prendrait beaucoup de temps avant de devenir des concurrents crédibles. La situation ne présente donc aucun risque à court et moyen terme selon la Commission et le marché de référence reste européen.