La santé au cœur des élections régionales

Les élections régionales vont être l’occasion d’installer de nouveaux exécutifs locaux pour les six prochaines années. Cette première élection post-covid doit être l’occasion d’ouvrir le débat nécessaire et voulu par nombre de Français sur l’amélioration du système actuel de santé. L’observatoire santé et innovation (OSI) de l’Institut Sapiens, présente ses préconisations à destination des futurs élus régionaux et départementaux, mais propose également d’ouvrir la réflexion sur des réformes plus nationales.

A travers ses propositions, l’OSI ambitionne de faire des régions des pilotes de l’innovation en santé. Par la décentralisation de nombreuses compétences et par l’adaptation du cadre national, nous proposons de faire émerger une nouvelle articulation Etat – Régions en santé, pour améliorer l’efficacité du système existant, et préparer au mieux son avenir et les défis à relever.

 

1er objectif : Faire des régions des viviers de l’innovation en santé

  • Utiliser les données de santé au niveau local

L’analyse des données de santé du Health Data Hub au plan régional permettrait de mieux comprendre la topologie sanitaire d’un territoire, d’en cartographier les inégalités sanitaires et médico-sociales, et ainsi de pouvoir définir avec précision les axes d’amélioration. Cette exploitation au plus près de la donnée permettrait d’optimiser les politiques publiques en matière de santé et d’améliorer la prévention en favorisant un ciblage et une adaptation plus fins.

 

  • Favoriser un recourt accru à l’article 51

Outil malheureusement trop peu connu des porteurs de projets et insuffisamment déployé, l’article 51 est un dispositif visant à favoriser l’innovation organisationnelle en santé. Créé par la loi de financement de la Sécurité Sociale de 2018, ce dispositif dérogatoire de financement permet à des professionnels ou à des établissements de santé d’expérimenter des dispositifs innovants de collaboration, en dépassant les contraintes règlementaires de tarification.

Les projets éligibles sont ceux portant sur la coordination du parcours de santé, la pertinence et la qualité des prises en charge sanitaire, sociale ou médico-sociale, la structuration des soins ambulatoires et l’accès aux soins. Depuis 2018, ce sont ainsi 810 projets qui ont été déposés auprès des ARS (400 en 2018, 300 en 2017 et 100 en 2020)[1],pour un total de seulement 71 expérimentations autorisées, et financées à hauteur de 343 millions d’euros sur 5 ans par le FISS (Fonds pour l’innovation du système de santé) et de 19 M€ par le FIR (Fonds d’intervention régional des ARS).

Cependant, il persiste encore une trop forte hétérogénéité dans la répartition de ces expérimentations[2]. Certaines régions (comme l’Ile-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes et l’Occitanie) portent chacune plus d’une trentaine de projets alors que d’autres (comme la Normandie ou le Centre Val-de-Loire n’en portent qu’une dizaine).

Nous proposons de favoriser un recourt accru au dispositif article 51, en augmentant fortement le budget dédié, en simplifiant drastiquement les procédures administratives et en demandant aux ARS de devenir de véritables promoteurs et incubateurs de projets innovants. Par leur connaissance fine du terrain et des interlocuteurs locaux, elles pourraient inciter les acteurs locaux à déclencher ces expérimentations tout en les accompagnant lors des procédures, pour mener à bien un maximum de nouveaux projets. Nous proposons également de leur confier la totalité des fonds liés à l’article 51 pour en simplifier la mécanique bureaucratique et administrative.

 

  • Utiliser les outils de télécommunication pour lutter contre la désertification médicale

Les outils de télécommunication, dont le potentiel va s’accroître avec le déploiement de la 5G, permettent de rapprocher le soignant du patient, sans tenir compte des contraintes géographiques. Si ces outils ne sont pas encore assez déployés – en dehors de l’imagerie et de la chirurgie – il est nécessaire de construire dès aujourd’hui une organisation des soins, qui inclue la délégation de tâches praticien-IA, sous la responsabilité du médecin, et de délégation de responsabilité médecin-soignant sur un certain nombre d’actes.

Nous proposons ainsi d’envoyer de nombreuses infirmières équipées de smartphones, pas seulement dans les zones médicales sous-denses mais sur l’ensemble du territoire, pour rendre compte de l’état des patients à une plateforme de médecins mais aussi réaliser si besoin certains soins elles-mêmes. Pour cela, comme le suggère le récent premier comité de suivi de la pratique avancée, il faudrait lever les freins au déploiement des infirmières de pratique avancée (IPA), notamment au niveau de leur formation, pour laquelle l’offre de places est trop limitée, et favoriser le modèle économique en libéral, en élargissant leurs compétences, mais surtout en organisant dans certains cas, un véritable transfert de responsabilité au-delà d’une simple délégation de tâches sclérosante. Equipées d’outils d’intelligence artificielle d’aide à la décision, elles pourraient ainsi venir à la rencontre des patients dans les territoires.

 

2ème objectif : Définir une nouvelle organisation budgétaire plus pertinente

  • Faire évoluer l’ONDAM vers un ONDAM quinquennal et une déclinaison régionale

L’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam), est le dispositif budgétaire fixant notamment les autorisations de dépenses de la branche santé. Sur une base annuelle de recettes et de coûts, il ne peut ; par nature, prendre en compte les aléas (comme une épidémie) et surtout les d’investissement. C’est pour cette raison, et en accord avec les propositions du Haut comité pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), que nous suggérons que l’ONDAM soit voté en début de législature. Nous suggérons en outre qu’il soit décliné localement en ORDAM (déclinaisons régionales et pluriannuelles de l’ONDAM). Ces nouveaux mécanismes apporteront plus de flexibilité pour investir, notamment dans l’innovation organisationnelle et technologique et la prévention au plus près des besoins et des particularités locales. Ces ORDAM viendront en sus des financements nationaux alloués aux grands plans de santé publique nationaux.

Les ORDAM pluriannuels, couplés à l’exploitation des données au plan régional, pourraient permettre la réalisation de véritables évaluations qualitatives et quantitatives et de comparer les investissements entre les régions et venir ainsi favoriser l’efficience et la pertinence des actions de prévention, de soins et d’accompagnement.

 

  • Conserver un recrutement centralisé des personnels de santé

Proposition présente dans le projet de loi 4D, nous considérons que confier le recrutement des personnels de santé aux collectivités locales pourrait s’avérer contre-productif car elles ne disposent pas des compétences requises. Leur valeur ajoutée sera plus grande si elles se concentrent plutôt sur l’innovation.

Nous préconisons donc de leur laisser un large champ d’initiatives et de les inciter financièrement à soutenir les projets locaux innovants comme le support logistique et social à l’envoi en première ligne d’infirmières libérales IPA, pouvant réaliser les premiers soins pour résorber les déserts médicaux ; ou le soutien à l’installation de cabinets de soins pluridisciplinaires, comme des Maisons de Santé Pluridisciplinaires (MSP) déployant de nouvelles prises en charge organisationnelle et mobilisant la technologie.

 

  • Définir de nouvelles incitations à l’installation

 La question des déserts médicaux anime de nombreux élus locaux qui rivalisent d’inventivité pour tenter d’y répondre. Pour tenter d’endiguer ce phénomène, nous proposons de jouer sur le volet incitatif en introduisant une modulation de la prise en charge par l’Assurance Maladie, d’une partie des cotisations sociales des médecins, selon la densité médicale de la zone d’installation.

 

3ème objectif : Organiser une répartition plus efficace des compétences

  • Revoir le partage des missions Etat / Régions

Laisser l’Etat gérer les grands plans de santé publique et la lutte contre les épidémies (qui va d’ailleurs être mieux coordonnée au niveau international, selon la récente déclaration de l’OMS) et confier la déclinaison des parcours de soins des pathologies chroniques et épisodes de soins post-hospitalisation, ainsi que des programmes de télésuivi et de télésurveillance aux ARS, pour coller au mieux aux réalités de terrain de l’offre de soins et faciliter la coopération interdisciplinaire et ville-hôpital avec les acteurs de santé et médico-sociaux locaux.

 

  • Confier une réelle autonomie aux ARS

Impulsées par la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoire (HPST) de 2009, les ARS résultent de la fusion de sept entités différentes, issues de l’Etat et de l’assurance maladie. L’enjeu de cette réforme ambitieuse était de constituer un échelon régional fort, en symbiose avec les territoires, disposant de marges de manœuvre, pour adapter localement les politiques nationales et intégrer l’ensemble des leviers des politiques publiques sanitaires et médicosociales, allant de la prévention à l’organisation des soins, en passant par le financement.

Néanmoins, cette ambition initiale de consolidation de l’échelon local s’est vite épuisée, empêchée par le niveau central, qui n’a pas changé ses pratiques, continuant de travailler avec les ARS comme si celles-ci n’étaient que des services déconcentrés de l’Etat et non pas des agences autonomes. Ainsi, les marges de manœuvre des ARS ont été constamment réduites à la portion congrue. Les occasions de rogner leurs responsabilités n’ont pas manqué : fléchage des crédits et non-fongibilité des budgets, contraintes imposées à leurs recrutements (en grande part imposés au sein des agents de l’Etat), ou encore inflation des circulaires d’application, verrouillant leur capacité à créer une vraie politique sanitaire locale et leur laissant le loisir de trouver la lumière de la simplification à leur seul niveau.

Pour concrétiser l’esprit initial de leur création et en faire de véritables agences territoriales fortes et décisionnaires, nous proposons ainsi de leur confier une autonomie pleine et entière. A ce titre, nos voisins espagnols, qui ont délégué la compétence de santé aux régions, fournissent des exemples à suivre : l’approche globale et intégrée des soins en Catalogne produit des résultats probants en matière de santé publique, en particulier depuis les années 2010 sur les pathologies chroniques[3].

 

  • Confier la prévention à l’échelon local

 Véritable point faible de notre système de santé[4], la prévention souffre d’une centralisation inefficiente. Décentraliser le pilotage de la prévention au niveau local et aux acteurs de terrain est un gage d’efficacité, qui favorisera une meilleure articulation avec les facteurs de risques régionaux particuliers : exposition aux facteurs environnementaux, notamment en entreprise, adaptation aux caractéristiques démographiques et sociales. L’analyse de la topologie sanitaire d’un territoire indiquera les domaines où l’effort à réaliser sera le plus important. En parallèle il convient d’améliorer la formation initiale des généralistes sur les sujets de la prévention pour leur permettre d’être de véritables agents locaux de cette politique.

 

  • Organiser l’universitarisation des IFSI

Les régions sont responsables des formations sanitaires et sociales et en particulier du financement des instituts de formation et du versement des bourses. Il existe en France 326 IFSI (institut de formation en soins infirmiers) qui maillent le territoire en étant parfois éloignés des centres universitaires. L’universitarisation des formations sanitaires et sociales est un pas nécessaire pour permettre le développement de la recherche, l’évolution des carrières en particulier avec les pratiques avancées, et également la qualité des formations autant sur le plan académique que sur le plan des risques psychosociaux.  Ouvrir des instituts de formations partout en France n’est pas la bonne solution pour permettre au système de santé de bénéficier des professionnels nécessaires. Il faut plutôt donner de l’attractivité aux métiers paramédicaux tout au long de leur carrière et de leur formation.

 


[1] « Rapport au Parlement sur expérimentations innovantes en santé » https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/article_51_rapport_au_parlement_2020.pdf
[2] « Atlas de l’article 51 ». Les chiffres indiqués comportent les expérimentations nationales pouvant être communes à plusieurs régions. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/l_atlas_du_51_2018-2020_les_experimentations_par_regions.pdf
[3] https://www.ijic.org/articles/10.5334/ijic.2205/
[4] https://www.institutsapiens.fr/securiser-et-ameliorer-notre-systeme-de-sante/

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Jean Louis Davet

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Président de DENOS, société spécialisée en parcours de soins internationaux, disease management et biotech en oncologie, précédemment Directeur général de groupes d'assurances et de services de santé, et auparavant consultant en stratégie (notamment dans les domaines des nouvelles technologies et de la santé), Centralien et Docteur en mathématiques, très engagé dans les questions de data, d'IA, d'éthique en santé.

Vincent Diebolt

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Directeur de F-CRIN, une infrastructure en recherche clinique mise en place dans le cadre du « Programme d’investissements d’avenir/PIA » (F-CRIN est une plateforme de réseaux nationaux thématisés d’investigation et de recherche de pointe) portée par l’Inserm. Il est également partie prenante, en tant qu’associé, du développement d’une Medtech.

Josette Guéniau

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Josette Guéniau est une professionnelle et ex-dirigeante de l’assurance santé, devenue conseil auprès des assureurs complémentaires depuis plus de 10 ans, notamment sur les sujets de la réglementation, de l’innovation et de la stratégie marketing. A ce titre elle s’intéresse depuis plus de 5 ans à l’apport de la téléconsultation dans la prise en charge au plan de l’accès et de la qualité à la santé mais aussi à son financement.

Isabella de Magny

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CEO d’Inspiring Futures, fondatrice de GenDH, qui étudie l’impact des innovations en santé sur le système de soins et la société. Auteur du roman « Emma, Naissance d’une biocitoyenne ». Passionnée de prospective, d'éthique et de nouvelles technologies.

Clarisse Pamiès

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Normalienne, économiste-statisticienne. Combine depuis 15 ans les perspectives dans le public et le privé en France et à l’international sur la santé et le numérique. Désormais CEO d’une start up deep tech dans prévention ciblée en santé mentale. Profondément convaincue que la technologie bouscule positivement la santé à devenir plus performante et plus humaine - à la condition que la régulation et le financement soient au rendez-vous.

Isabelle Riom

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Interne en médecine, présidente du SRP-IMG (Syndicat représentatif parisien des internes de médecine générale)

Guy Vallancien

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Professeur honoraire de chirurgie, membre de l’académie de médecine, membre du conseil scientifique de l’Office Parlementaire de l’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, Président de la Convention on Health Analysis and Management (CHAM), Spécialiste de robotique chirurgicale. Guy Vallancien est expert Sapiens.

Guillaume Vogt

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Généticien, chargé de recherche à l’INSERM et Directeur du laboratoire de Neglected Human Genetics.

Jean Louis Davet, Vincent Diebolt, Josette Guéniau, Isabella de Magny, Clarisse Pamiès, Isabelle Riom, Guy Vallancien, Guillaume Vogt

AUTEUR DE LA PUBLICATION

Jean Louis Davet

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Josette Guéniau

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Clarisse Pamiès

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