Évoluer ou mourir : voici le choix darwinien auquel est confronté le syndicalisme français. Des syndicats contestataires aux plus constructifs, tous sont face à un risque de disparition. La raison est simple : une méfiance des salariés envers les syndicats, combinée à une appétence des citoyens pour la démocratie directe. Que ce soit le mouvement Nuit Debout, la manifestation des gilets jaunes ou encore la séquence de témoignage #PasDeVague, tous ces mouvements ont émergé spontanément, ont existé sans leader syndical ou politique, et ont eu des résultats bien plus probants (au moins à court terme) que les traditionnelles manifestations orchestrées par les structures historiques, que ce soit en termes d’échos médiatique ou de réponses à leurs revendications. Des mouvements éphémères spontanés, plus ou moins organisés qui mettent en évidence que le numérique est un outil d’expression très efficace pour relayer des revendications et agréger les mécontentements sans besoin du relais des corps intermédiaires qui se retrouvent écartés plus ou moins volontairement du champ social.
Héritier d’anciennes traditions corporatives et de l’expérience des luttes, le dialogue social français s’est organisé selon une double logique : la première, assise sur les solidarités professionnelles forgées autour du métier, de l’industrie et de l’administration ; l’autre répondant à une logique territoriale indissociable du projet interprofessionnel de transformation sociale à l’origine des Bourses du travail, puis des Unions locales et des Unions départementales.
La France présente cependant cette situation paradoxale où les partenaires sociaux sont ceux ayant le moins d’adhérents en Europe, mais ayant des pouvoirs très importants dans de nombreux domaines au cœur de l’économie nationale (gestion de l’assurance chômage, de la formation professionnelle, des retraites, etc.…). On estime le taux de syndicalisation à 11,2% actifs (8,7% dans le secteur privé et 19,8% dans la fonction publique), alors qu’il était de 30% en 1949. La moyenne européenne se situe aux alentours de 23%. Dans les pays nordiques, caractérisés par un syndicalisme de service, ce taux est bien plus élevé atteignant 74% en Finlande ou encore 70% en Suède.
Alors que cette défiance de plus en plus manifeste à l’égard des syndicats, et d’une façon générale des corps intermédiaire, peut apparaître inexorable, le recours aux outils numériques constitue selon nous une opportunité pour tenter d’inverser la tendance et de recréer un nouveau cadre modernisé du dialogue social.
Référendum numérique, réseaux sociaux d’entreprises, pétitions en ligne, syndicats dits « de service » externes : les initiatives numériques se multiplient dans les entreprises. L’organisation de l’entreprise ne repose pas sur des principes démocratiques mais l’entreprise ne peut pas non plus être efficace et compétitive sans un dialogue de qualité entre actionnaires, directions et salariés. Ce dialogue, vecteur de cohésion interne et donc de productivité est nécessaire. L’émergence de ces nouveaux outils permettant une expression et des revendications directes des salariés va-t-elle sceller le sort des syndicats et plus généralement des instances de représentation du personnel plus institutionnelles ?
L’expérience récente des gilets jaunes démontre que des rapports sociaux balisés sont moins dangereux pour la démocratie et sans doute plus efficace à long terme que la génération de mouvements spontanés anarchiques. Il semble donc indispensable que les organisations syndicales de salariés mais également d’employeurs reprennent la main et accomplissent une mue rapide leur permettant de redevenir des canaux d’expression privilégiés, garants d’un dialogue social de qualité. Ceci nous semble indispensable tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau interprofessionnel.
Dans cette étude, qui fait suite à un travail de recherche et d’audition de plus de 6 mois, nous proposons des pistes de transformations pour permettre aux syndicats de relever le défi du numérique et ainsi retrouver un second souffle, mais également pour faire évoluer notre droit social et faciliter l’émergence de ces nouvelles pratiques tout en permettant à chaque salarié de pouvoir participer plus activement à la vie de son entreprise. Pour ces derniers, cette évolution pourrait permettre de redonner un sens si souvent absent à leur activité professionnelle. Nos préconisations s’articulent autour de 3 grands axes :
Favoriser l’émergence de nouvelles formes d’expression et de dialogue.
Au sein même de l’entreprise, l’enjeu principal est d’encourager l’accès aux outils numériques pour favoriser le dialogue social en le modernisant. Chaque salarié doit être doté d’une adresse mail professionnelle et formé aux usages des technologies d’information et de la communication. Les pétitions internes, produites par des plateformes numériques externes, sont un excellent moyen pour la direction d’une entreprise de prendre le pouls et la température d’une entreprise.
Associée aux réseaux sociaux d’entreprise (via Facebook, Linkedin, Twitter, Toguna, Whaller, etc…), ces nouveaux dispositifs doivent être encouragés pour multiplier les prises de parole dans un cadre régulé et éviter ainsi les potentielles dérives liées au « name and shame1 » qui pourrait nuire à la réputation des entreprises. Enfin, le recours au référendum numérique d’entreprise doit être lui aussi encouragé, pour permettre à chaque salarié de s’exprimer sur des sujets divers au premier rang desquels les sujets ayant trait aux conditions de travail. Pour être efficace, ces référendums doivent impérativement être contextualisés avec l’aide des représentants du personnel et des syndicats afin ne pas appeler une réponse binaire, simpliste et donc démagogique.
A travers une logique participative, le numérique peut supporter une fluidification des relations sociales en rendant l’information plus pédagogique et plus accessible à tous au sein de l’entreprise.
Faire évoluer les syndicats.
Les syndicats, qui sont pour la plupart restés à l’ère du papier, doivent radicalement se transformer. Comme en témoignent les résultats de notre sondage IFOP – Adding sur l’usage du numérique par les syndicats, les tracts, les pétitions et la communication physique restent rès présents (plus de 62% des citations) dans les processus de représentation syndicale. Les réseaux sociaux d’entreprise ne représentent que 25% des citations, les pétitions en ligne 9% et le recours aux plateformes numériques spécialisées 4%.
Pour y reméfier, nous proposons tout d’abord un recours à la dématérialisation des réunions entre le syndicat et ses adhérents doit être encouragé. Cela leur permettra de toucher plus de monde, de manière plus fréquente et surtout plus ouverte, faisant ainsi vivre le dialogue social au quotidien en pouvant potentiellement toucher un plus grand nombre de salarié.
Les syndicats doivent ainsi en profiter pour changer la logique actuelle, passer d’un fonctionnement « Top-down » à une logique « Bottom-up», passer d’un modèle descendant à un modèle ascendant, où chaque adhérent aura sa place dans la construction et l’animation des rapports sociaux au sein de son entreprise. Le syndicalisme de service est également une piste à suivre pour des organisations qui pour la plupart n’existent pas entre deux élections. Formations, conseils aux salariés, animation de plateformes de recrutement, les pistes sont nombreuses pour faire exister les syndicats entre chaque élection et ainsi casser l’image électoraliste, inutilement contestataire et politique des centrales. Enfin, et même si elle peut paraître anecdotique, une transformation sémantique doit également être envisagée : faire disparaître le terme « syndical » pour parler plutôt d’associations représentatives. Le concept reste le même mais la notion change, impératif pour casser et moderniser la mauvaise image dont pâtissent les syndicats.
Faire évoluer les modalités de la représentation du personnel.
L’appétence des citoyens et des salariés pour la démocratie directe ne doit pas être freinée, au contraire. Dans l’entreprise, il faut permettre à chaque salarié le souhaitant de pouvoir être librement acteur de sa représentation professionnelle. Tout d’abord, en mettant fin au monopole syndical au 1er tour des élections professionnelles, qui existe depuis 1946 et qui interdit à un salarié de pouvoir se présenter en dehors de toute organisation syndicale. Ce monopole n’est plus compris et entretien les syndicats actuels dans leur immobilisme. Les salariés qui construisent leur propre réseau et développe une influence au sein de l’entreprise notamment à l’aide des outils numériques doivent pouvoir se présenter aux élections et ce dès le premier tour.
La concurrence doit également s’opérer en dehors des entreprises. Le financement des syndicats, jugé « très opaque » par de nombreux rapports d’observateurs, doit être repensé et basé sur la performance. La mise en place d’un chèque syndical, venant en remplacement du financement public actuel (liées aux ressources des fonds paritaires et aux fonds de l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) financés par une part prélevée de 0,016% de la masse salariale des entreprises) nous paraît être une puissante piste de réforme. Chaque actif pourrait ainsi choisir le syndicat, l’association ou la structure à laquelle il souhaite adhérer. Les syndicats qui seraient ainsi directement financés par les salariés seraient contraints de rendre des comptes à leurs adhérents. Cette mesure permettrait l’émergence de nouvelles formes de représentations des salariés comme des coopératives ou des syndicats dits de service assurant des prestations de formation, de conseils et de représentations des salariés, pouvant elles aussi compenser les carences des organisations historiques.
On peut d’ailleurs imaginer la création de structures de représentation qui feraient le lien entre salariés et employeurs gommant ainsi des frontières d’un système trop souvent manichéen entre le monde patronal et celui des salariés.