Le mot « gratuit » est magique. Porteur de la promesse de services sans contrepartie, il provoque chez nous un heureux frisson. Si le consommateur semble désormais assez prévenu contre l’illusion de la gratuité, le citoyen, en revanche, doit encore apprendre à s’en méfier.
Dans le domaine commercial, on sait depuis longtemps que la gratuité est toujours, d’une façon ou d’une autre, une façon de mieux vendre. Les cadeaux promotionnels, échantillons et autres « goodies » sont des appâts assumés que l’on propose au chaland. Difficile d’en ignorer la nature. Le client qui accepte de goûter le bout de fromage chez son commerçant sait que, s’il achète, le coût de l’échantillon, comme celui du vendeur et du local, sera répercuté dans le prix de vente. Depuis internet, la gratuité a pris des formes plus subtiles. D’innombrables services nous sont désormais fournis sans que nous devions bourse délier : messagerie électronique, guidage GPS, cartes, etc. Rares sont pourtant les gens qui n’ont pas encore compris que tout cela nous est offert en échange de nos données ainsi collectées et vendues à des fins publicitaires. Le prix à payer même s’il est assez indolore, existe. De la même façon que, sur certaines plateformes vidéo, il est obligatoire de débrancher le bloqueur de publicité pour avoir accès aux contenus : il s’agit d’un donnant-donnant (temps de cerveau disponible contre divertissement) sans ambiguïté.
Dans le domaine politique, en revanche, le mythe de la gratuité semble avoir la vie dure. La proposition de la maire de Paris de rendre les transports gratuits pour les parisiens en est le dernier avatar. Les gens sont-ils dupes ? Croient-ils vraiment que les services offerts sont sans coûts pour la collectivité ?Peut-être pas. L’efficacité électorale trop souvent observée de la promesse trahit un phénomène bien connu des économistes : le passager clandestin. Autrement dit le secret désir qu’a chacun de profiter de l’effort des autres. Il existe certes des cas où des minorités parviennent en effet à exploiter le plus grand nombre, s’attribuant des rentes grâce à l’influence exercée sur le système.
Mais, dans la majorité des situations, cet espoir de profiter de la croisière sans payer est une illusion. Étienne de la Boétie se moquait de ceux qui louaient l’État de ses cadeaux, ne voyant pas qu’ils n’étaient qu’une redistribution des spoliations accomplies plus tôt. « Les tyrans faisaient largesse d’un quart de blé, d’un sestier de vin et d’un sesterce ; et lors c’était pitié d’ouïr crier : Vive le roi ! Les lourdauds ne s’avisaient pas qu’ils ne faisaient que recouvrer une partie du leur, et que cela même qu’ils recouvraient, le tyran ne leur eût pu donner, si devant il ne l’avait ôté à eux-mêmes. » Cette remarque du XVIe siècle a gardé neuve toute sa saveur. L’État n’a pas d’autre argent que celui qu’il nous prend.
Jacques Bainville écrivait (en 1927) que, dans son désir d’être réélu, l’homme politique était prêt à faire « n’importe quoi. N’importe quoi consiste à flatter les électeurs, à leur promettre, par exemple, de prendre l’argent là où il est, c’est-à-dire, en définitive, dans leurs propres poches ». Le citoyen éduqué devrait promptement sanctionner le candidat qui lui propose un service gratuit sans expliquer précisément comment seront répartis ses coûts (car c’est là la vraie, la seule question).
« Il n’y a pas de repas gratuit ». Cette phrase fameuse de Milton Friedmann. devrait (aussi) figurer sur le fronton de nos bâtiments publics afin que nous n’oubliions jamais que l’Etat ne nous offre jamais rien que nous de devions, tôt ou tard payer son juste prix.