L’Union Européenne a beaucoup de défauts, mais elle a la vertu d’avoir préservé le vieux continent de tout conflit durant plus de 70 ans. Mais, ravagée par les crises des subprimes et des dettes souveraines, elle s’est avérée dans sa mouture actuelle incapable de répondre aux grands enjeux économiques, sécuritaires et environnementaux du XXIe siècle. Aussi, la relance de l’idéal européen doit-elle s’articuler autour de projets structurants rejoignant à la fois les préoccupations des peuples et les défis du futur. La transition énergétique représente l’un de ces projets majeurs.
Elle s’appuie sur trois piliers en parfaite bijection avec les trois piliers du développement durable : l’énergie doit être propre, abordable et disponible. Elle doit impérativement éviter d’en hypertrophier un ou deux par rapport au troisième sous peine de mettre en péril les fragiles équilibres de notre société de croissance.
Panorama 2017
En 2017, l’humanité a consommé 157PWh d’énergie primaire toutes sources confondues dont 85% d’énergies fossiles. Les pays de l’OCDE en représentaient 40%. Quant à la consommation européenne, elle comptait pour 13% de la consommation mondiale.
La combustion des énergies fossiles a émis en 2017, 33 milliards de tonnes de CO2 dont 62% provenait des pays NON-OCDE. La poursuite de la tendance actuelle conduirait à l’horizon 2050 à un presque doublement des émissions. L’Europe est le troisième émetteur de la planète avec environ 11% des émissions mondiales.
Avec 1,3 MWh/k€, l’Européen possède l’intensité énergétique la plus faible du monde bien en-dessous de la moyenne mondiale mais aussi de celle des pays de l’OCDE. Depuis le début du siècle l’intensité énergétique européenne a été divisée par deux. Mais au sein de l’Europe, les anciens pays du Pacte de Varsovie ont tous une intensité énergétique bien supérieure aux membres historiques de l’Union. Ce résultat reflète un PIB plus faible mais aussi un modèle énergétique moins performant. Avec 1,1 MWh/k€, la France se situe dans le premier tiers.
L’Europe possède également l’un des MWh les plus décarbonés du monde. L’européen émet légèrement plus que le Chinois, mais trois fois moins que l’Américain. Au sein de l’Europe, le contenu carbone et les émissions par habitant dépendent toutefois de la part d’énergies fossiles dans le mix. Grâce au nucléaire, la France est vice-championne d’Europe alors que la Pologne et l’Allemagne restées très charbonnières sont en queue de peloton.
Enfin, les données européennes confirment que la transition énergétique est « un sport de riches » : l’intensité énergétique décroit rapidement avec l’augmentation du PIB.
Le pilier climatique
Pour satisfaire l’objectif 2°C 2050, l’Europe devra réduire ses émissions cumulées de 34 GtCO2 et ramener sa part d’énergies fossiles à 42% (contre 76% aujourd’hui). Pour atteindre cet objectif il faut bien sûr déplacer les énergies fossiles vers les énergies décarbonées (ENR et nucléaire) mais aussi et surtout continuer de réduire l’intensité énergétique. Les principaux leviers sont les suivants :
- Rationaliser l’utilisation des énergies renouvelables : 100% d’énergies renouvelables est une chimère idéologique. Les ENRi ne peuvent se satisfaire à elles-mêmes et ont besoin d’un « ami » thermique, gaz ou nucléaire. Les énergies renouvelables sont des énergies de proximité qui doivent être consommées localement là où se trouvent les meilleurs gisements éoliens ou solaires. Il est par contre illusoire de vouloir électrifier de grandes régions, des nations ou des continents entiers à l’aide d’ENRi. La montée en puissance à 30% d’ENRi devra s’appuyer sur des petites unités gazières ou nucléaires (quelques MW à quelques dizaines de MW).
- Améliorer le rendement de génération électrique : la chaleur fatale dissipée dans la génération électrique européenne représente près de 4000 TWh. Deux technologies existent pour améliorer le rendement. La cogénération valorise la chaleur fatale pour produire de l’eau chaude. Elle ne compte que pour 12% de la puissance installée en Europe alors qu’elle permettrait aisément de couvrir ses besoins en chaleur et d’économiser 65 Mds €. Le cycle combiné couple en cascade une turbine à gaz avec une turbine à vapeur et atteint un rendement de 60%. Les cycles combinés représentent 30% de la puissance totale installée en Italie, au Royaume Uni et en Hollande mais seulement 5% en Allemagne et en France. Ils permettraient à l’Europe d’économiser 500 TWh de gaz et 50 Mds €.
- Augmenter les échanges intra-européens d’électricité : malgré une libéralisation des marchés de l’électricité, le prix du kWh reste très hétérogène au sein de l’Union. Ces prix imposés par les gouvernements reflètent des transitions nationales non coordonnées. L’électricité reste pour l’instant des « affaires nationales » organisées autour de « monopoles naturels » publics. Aussi, les échanges au sein de la grille sont plus que limités et n’ont pas permis de développer un grand marché européen de l’électricité. Augmenter ces échanges est un point critique quant au futur des ENRi.
- Rénover les « passoires énergétiques » encore très nombreuses en Europe est l’une des principales sources d’économies d’énergie. Ainsi, en France, une isolation basique de ces passoires énergétiques coûterait 80 milliards d’euros mais permettrait une économie annuelle de 12 milliards d’euros. Le retour sur investissement est de 7 ans. Un grand plan de rénovation de l’habitat devrait être la première priorité du projet européen intégrant des normes communes mais aussi des mécanismes de financement adaptés.
- Optimiser les transports au sein desquels 93% de l’énergie utilisée est du pétrole. Réduire la consommation pétrolière de l’Europe requiert soit de réduire la consommation des véhicules thermiques soit de les déplacer vers le gaz et l’électricité. Compte tenu de la puissance requise, l’électricité n’est pas une option crédible pour les camions au contraire du gaz qui dans ses versions comprimée et liquéfiée représente une option attrayante. Elle nécessitera de déployer un réseau de distribution européen suffisamment dense. En ce qui concerne les voitures individuelles, l’électricité est l’alternative la plus crédible. Mais, compte tenu de l’autonomie et de la durée de recharge c’est en ville que la voiture électrique deviendra l’urbaine incontestée. Pour les longues distances nous lui préférons la voiture thermique basse consommation. Il existe en effet de nombreux leviers (vitesse, poids, frottements, digital) pour réduire à 2l/100km la consommation moyenne des voitures thermiques.
Nous ne sommes pas favorables aux biocarburants. A quantité d’énergie équivalente, ils demandent beaucoup de surface au sol, d’eau et d’autoconsommation d’énergie. Cultivés sur des terres paysannes, ils entrent en concurrence avec l’agriculture alimentaire. Cultivés sur d’anciennes terres forestières leur développement réduit la capacité d´absorption du carbone.
Enfin, remplacer le gaz naturel européen par de l’hydrogène produit à partir de l’électrolyse de l’eau nécessiterait de mobiliser le double de la consommation actuelle d’électricité. L’hydrogène représentera une source d’appoint en utilisant les surplus d’électricité renouvelable non consommés.
L’industrie européenne a vu depuis le début du XXIe siècle, sa part du PIB se contracter de 3% alors que les services augmentaient d’autant. L’industrie représentant grosso modo le quart de la consommation d’énergie de l’UE, la délocalisation a finalement joué un rôle mineur sur la réduction de l’intensité énergétique dont la partie principale résulte bien d’une amélioration de l’efficacité énergétique.
Depuis une trentaine d’années, les procédés et les organisations des secteurs énergétivores ont beaucoup évolué. On n’entrevoit pas aujourd’hui de réelle rupture technologique hormis peut-être l’utilisation de l’hydrogène comme oxydo-réducteur à la place du coke dans la sidérurgie. Compte tenu des températures requises, la plupart des industries énergétivores ne peuvent s’accommoder de l’électricité et continueront d’utiliser des énergies fossiles. La transition énergétique dans l’industrie repose donc essentiellement sur des améliorations incrémentales des procédés et des organisations.
Le pilier sécurité énergétique
Le mix énergétique européen reste profondément dépendant de ses importations d’énergies fossiles : 90% de son pétrole, 76% de son gaz et 47% de son charbon. Si ses fournisseurs de pétrole et de charbon sont relativement nombreux et diversifiés, il n’en est pas de même des fournisseurs gaziers. L’Europe est approvisionnée en gaz par l’Algérie, la Norvège mais surtout la Fédération de Russie.
Diversifier les approvisionnements gaziers est donc l’une des clés de la sécurité énergétique européenne. D’autant que pour les anciens pays du Pacte de Varsovie la dépendance énergétique vis-à-vis de la « Grande Russie » est un obstacle de taille. Et cet obstacle n’a pas qu’une connotation énergétique. Il a aussi un double sens historique et émotionnel.
Ainsi le projet de doublement du Nord Stream devait permettre à terme de marginaliser le Brotherhood qui traverse l’Ukraine. Mais sa construction se heurte à une vive opposition de la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie. La stratégie américaine n’est pas désintéressée et cherche à conquérir les marchés européens pour y vendre son Gaz Naturel Liquéfié qu’elle exporte pour l’instant essentiellement vers le sud-est asiatique.
L’Europe ne relancera pas sa production domestique via le développement de ses ressources en gaz de schistes. Blocages sociétaux et prix de production non compétitifs ont refermé le dossier gaz de schiste en Europe qui, à moyen terme, n’a aucune chance d’aboutir.
Mais, la dépendance énergétique de l’Europe ne s’arrête pas aux hydrocarbures. A l’instar des énergies fossiles, les réserves d’uranium (pour le nucléaire) et de métaux rares (batteries, éoliennes et panneaux solaires) sont inégalement réparties. Ainsi la moitié des réserves mondiales de cobalt sont situées en RDC et près de 60% des réserves de lithium au Chili et en Argentine. Quant aux terres rares, la Chine détient plus du tiers des réserves mondiales. Contrairement à une idée reçue, les renouvelables ne résolvent donc en rien le problème de l’indépendance énergétique de l’Union Européenne.
Le pilier économique
La vie quotidienne mais aussi la compétitivité des entreprises sont largement conditionnées par les prix de l’énergie. Des prix à la fois mondiaux (pétrole), régionaux (charbon, gaz) et nationaux (électricité) dont l’éclatement de la facture conduit à des calculs économiques souvent déphasés des intérêts climatiques, politiques ou sociétaux.
En 2017, les importations d’énergie fossiles ont coûté à l’Europe environ 300 milliards d’euros. Même si elle ne compte que pour 2% de son PIB, la facture fossile est un contributeur majeur parfaitement corrélée à sa dette souveraine. Bien au-delà de la problématique climatique, réduire la consommation d’énergies fossiles représente pour l’Europe un levier majeur de réduction de sa dette et donc de réserve de croissance économique. Le schéma 2°C permettrait à l’Europe d’épargner sur la période 2020 à 2050 la bagatelle de 3120 milliards d’euros.
Pour essayer de pousser le privé à utiliser des énergies décarbonnées, l’UE a mis en place un marché du carbone. Quinze mille installations industrielles y sont désormais astreintes. Mais, suite aux deux crises mondiales, le marché européen n’a jamais fonctionné avec une tonne de carbone restée sous les 10 euros depuis 2008. Fin 2017 l’Union a décidé de modifier les règles en baissant les quotas et en mettant en place une « réserve de stabilité ». L’objectif est de 40€/tonne en 2030. C’est un premier pas mais il est insuffisant pour changer la stratégie globale des entreprises vis-à-vis des énergies fossiles en général, du charbon en particulier.
Conclusion
Pour être complémentaires, les trois piliers se doivent aussi d’être indépendants. Avant la prise de conscience climatique, l’autorité de tutelle de l’énergie était le Ministère de l’Industrie. Pour donner davantage de poids aux politiques environnementales, la plupart des pays européens ont rapproché l’énergie et l’environnement. Il est rapidement apparu que ce rapprochement était un peu « l’impossible mariage de la carpe et du lapin » conduisant à des politiques environnementales plus « militantes » que « rationnelles ». Depuis 2010, on observe une inversion de tendance. L’énergie est à nouveau considérée comme l’aliment incontournable de la croissance économique et du développement social.
En fait bien plus que le pétrole, le gaz ou le charbon, la transition énergétique a deux ennemis masqués.
Le premier est l’écologie politique « punitive » qui hypertrophie le pilier climat aux dépends de la sécurité énergétique et de la compétitivité économique. Son idéal est la décroissance économique
Le second est le nationalisme qui par nature disproportionne les piliers économiques et surtout indépendance énergétique aux dépens du pilier climatique.