Le secteur des déchets, bien que boudé par la Convention citoyenne sur le climat, est évidemment un secteur capital, tant pour son impact sur nos vies quotidiennes que pour son illustration de l’économie circulaire et de l’innovation en matière environnementale.
On s’étonnera effectivement que, à la sortie du déconfinement, et après avoir aussi applaudi les éboueurs pour la constance de leur travail essentiel à la salubrité quotidienne du pays, le rapport final de la Convention citoyenne ne consacre que 8% environ de ses 460 pages à la gestion des déchets, à leur prévention et à l’économie circulaire[1].
Depuis un certain nombre d’années, et en particulier depuis la grande réforme de 2008 (transposée en droit français en 2010) [2], la France et l’Union européenne veulent faire basculer notre société dans une économie circulaire. En vertu de ce principe de circularité, tout déchet doit avoir vocation à être réinséré dans un cycle économique, afin de limiter au maximum le prélèvement des matières premières.
Le premier article de la règlementation relative aux déchets pose ainsi le principe :
« La politique nationale de prévention et de gestion des déchets est un levier essentiel de la transition vers une économie circulaire. »
Le cadre est donc posé : les déchets sont un outil essentiel du changement de paradigme de notre économie et la réglementation déchets est en pointe, voire la seule à promouvoir ce changement de modèle économique.
Le basculement de l’économie linéaire vers l’économie circulaire a en effet vocation à révolutionner nos modes de consommation. Pour ne citer que certaines illustrations, c’est dans ce contexte de promotion de l’économie circulaire que vont être mis en avant : la lutte contre l’obsolescence programmée, la réparation plutôt que le remplacement des biens d’équipement, le réemploi des biens plutôt que leur abandon, etc.
Dans le cadre de la promotion des déchets en tant que potentielle matière première secondaire (c’est-à-dire réutilisation d’un déchet en substitution d’une matière première dont on aura économisé le prélèvement), le droit de déchets prévoit une hiérarchie des modes de traitement :
- La préparation en vue de la réutilisation ;
- Le recyclage ;
- Toute autre valorisation, notamment la valorisation énergétique ;
- L’élimination et notamment l’enfouissement.
Le cadre est donc très explicitement posé : il faut d’abord éviter la production de déchets ; quand ce n’est pas possible, en favoriser la réutilisation ou le recyclage ; enfin, et à défaut, la valorisation notamment énergétique. L’élimination n’est vue que comme un pis-aller.
On notera à ce stade qu’à aucun moment la réglementation n’affirme – elle en serait bien en peine – que nous devons tendre vers une société « zéro déchet ». Dit autrement, le droit de l’environnement favorise explicitement la réduction de la production des déchets, mais, dans une vision réaliste, n’impose pas que nous n’en produisions plus. En effet, la question est moins de savoir si nous pouvons ne plus produire de déchets que celle de savoir si nous avons la capacité (technique et financière) de gérer durablement les déchets que nous produisons.
Certains scientifiques affirmaient – à juste titre – que l’Homme était la seule espèce à produire des déchets dont personne ne voulait. Comment ne pas s’étonner, par contraste, que tous les déchets produits dans la nature aient une utilité, soit pour la faune, soit pour la flore ? C’est en effet une vision idéale du déchet que d’être d’un côté ce dont on ne veut plus et de l’autre ce dont on a besoin.
L’Homme donc est la seule espèce à produire des déchets dont personne ne veut ; elle est aussi la seule espèce capable d’innover pour convertir du rebus en ressource.
C’est là un point cardinal du secteur des déchets : l’innovation. Celle-ci est au cœur de ce secteur stratégique essentiel à la nation. Le déchet en tant que tel, pour les acteurs économiques, représente un poids (un coût) ; comment ne pas rechercher alors les opportunités pour les transformer en ressource ?
Ainsi, la lutte contre la perte de chaleur fatale ou la production d’électricité à partir d’installation de traitement de déchets sont autant d’innovations qui permettent, au pire d’éviter des dépenses, au mieux de générer des revenus supplémentaires. Les doublures de vêtement en fibres non tissées issues des bouteilles plastiques traitées sont aussi une bonne illustration (oui, les vêtements que vous portez proviennent, pour certains, d’installations de traitement de déchets plastiques !).
Le progrès (et donc l’innovation) rend donc possible aujourd’hui (et plus encore demain) ce que nous pensions impossible hier. Par exemple, le postulat d’hier était que les déchets d’amiante et les déchets nucléaires n’étaient pas traitables. On se rend compte aujourd’hui que l’Homme est en train de chercher, voire de trouver des solutions pour le traitement ou la valorisation de ces déchets dont on disait qu’ils étaient ultimes (intraitables). Il ne faut donc encore une fois par tendre vers un idéal utopiste « zéro déchet » (nos fonctions physiologiques nous rappellerons quotidiennement qu’il est impossible de pas produire des déchets…), mais vers un idéal qui permettra à l’innovation de faire redevenir produit n’importe quel déchet.
C’est d’ailleurs précisément ce que prévoit actuellement le droit de l’environnement lorsqu’il définit le sous-produit[3] ou la sortie du statut de déchet[4].
À cet égard, nous ne pouvons que souscrire à la volonté manifestée par le Comité stratégique de filière « transformation et valorisation des déchets » de :
- Développer la capacité de la France à produire des matières recyclées répondant directement aux besoins des industriels et en corolaire, assurer la recyclabilité des produits mis sur le marché ;
- Mettre en place des mesures incitatives pour assurer la compétitivité des matières recyclées par rapport aux ressources naturelles (comme fixer des taux obligatoires d’incorporation « ambitieux »)
- Optimiser la collecte urbaine.
On en arrive alors à la nécessaire harmonisation entre la volonté du législateur (réduction des déchets, réutilisation ou recyclage), la capacité de l’opérateur économique (le déchet dont le législateur veut qu’il soit recyclé est-il effectivement recyclable ?) et la traduction des administrations en charges des déchets. Il est en effet singulier qu’au sein de l’Union européenne, les Etats n’aient pas la même définition des déchets. Ainsi, un bien considéré comme tel en Allemagne sera qualifié de déchet en France (ceci entrainant naturellement des incompréhensions, voire des complexités administratives puisque la circulation de ces biens sera alors soumise à la règlementation des déchets, dont celle du transfert transfrontalier de déchets).
Le droit (couplé à la fiscalité) sera donc un outil essentiel pour promouvoir la société du déchet de demain. En la matière, il est patent que le législateur a vocation à anticiper et favoriser certains comportements plutôt qu’à les accompagner a posteriori.
Le débat sur la consigne ou le tri sélectif des déchets sont l’illustration de l’influence du droit sur le comportement des producteurs de déchets : les discussions qui ont eu lieu au moment de la loi sur l’économie circulaire[5] fin 2019, début 2020 ont été l’occasion de montrer que le législateur, par des mécanismes incitatifs, pouvait soit encourager les industriels du secteur à investir massivement sur des chaînes de tri des déchets ; soit orienter les ménages vers l’espoir d’un modeste gain avec la consigne.
Au final, après avoir applaudi le personnel médical et les éboueurs pendant le confinement, il serait regrettable ne pas renforcer et encourager le secteur des déchets qui est à la fois un secteur stratégique essentiel à la nation et un secteur majeur d’innovation. Nous avons la chance en France de disposer de leaders mondiaux dans le secteur des déchets et de collectivités locales responsables de la collecte et du traitement ayant la connaissance fine des territoires. Mettons à profit cette expertise pour l’environnement et pour la relance. Ce sera ainsi l’occasion, dans le cadre du plan de relance post-Covid, de faire jaillir les opportunités économiques (et donc d’emplois) du secteur des déchets.
[1] Déchets info, n°188, 8 juillet 2020, lien suivant : https://dechets-infos.com/wp-content/uploads/2020/07/newsletter_pdf/Dechets-Infos-188-Sm25vyK4.pdf
[2] Directive cadre déchets du 19 novembre 2008 n°2008/98/CE, transposée en droit français par l’ordonnance n°2010-1579 du 17 décembre 2010
[3] Article L.541-4-2 du code de l’environnement
[4] Article L.541-4-3 du code de l’environnement
[5] Loi n°2020-105 du 10 février 2020 « relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire »