Une nouvelle génération de réacteurs nucléaires 90 % plus petits que ceux qui ont dominé l’industrie pendant des décennies sont développés par des entreprises américaines, chinoises et russes. Quels sont ces avantages par rapport aux réacteurs déjà existants ?
Les réacteurs classiques équipant la plupart des centrales nucléaires françaises sont de très grosses unités de puissance de l’ordre de 1GW (1000 MW) l’équivalent de 500 éoliennes de 2MW. Les réacteurs de nouvelle génération, les fameux EPR, atteignent même 1,6 GW. Mais, comme leurs ainés, ils fonctionnent suivant une technologie mature appelée « eau pressurisée ». Ces gros réacteurs sont parfaitement adaptés pour produire de façon centralisée de grandes quantités d’électricité. Toutefois compte tenu de leur complexité et des risques associés, leur construction est longue et coûteuse à cause notamment du durcissement des règles de sécurité après les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Aussi ne peuvent-ils être gérés que par des opérateurs historiques comme EDF.
Pourtant depuis des dizaines d’années, la même technologie est aussi utilisée sur des porte-avions ou des sous-marins mais avec des unités beaucoup plus réduites de l’ordre de quelques dizaines de MW. Le combustible nucléaire fournit en effet à ces bateaux de l’énergie durant de très longues périodes sans devoir se ravitailler un point essentiel pour la stratégie militaire.
La technologie SMR (Small Modular Reactor) est identique à celle des réacteurs existants sur ces géants des mers. La miniaturisation dans le civil ne pose donc aucun problème technologique et on ne peut pas proprement parler d’une nouvelle génération de réacteurs. L’avantage par rapport aux grosses unités est de permettre une production locale d’électricité pour des populations limitées et éloignées. Les Russes ont ainsi imaginé poser ces microréacteurs nucléaires sur des bateaux qui, suivant les besoins saisonniers, pourraient se déplacer d’un point à l’autre du pays.
Par rapport aux réacteurs existants, la micro-génération nucléaire permet donc de décentraliser la production d’électricité. Par ailleurs, compte tenu de leur taille réduite, la construction est beaucoup plus rapide. Enfin, le faible contenu en combustible nucléaire permet d’alléger les règles de sécurité et donc d’en réduire le coût. Ainsi, aux Etats-Unis, la société NuScale [1]travaille sur un réacteur de 60 MW qui pourrait alimenter une ville de l’ordre de 50 000 habitants. Son coût est estimé à 250 Millions de dollars. A puissance équivalente, l’éolien (de l’ordre de 1,5 M$/MW[2]) est en apparence beaucoup moins cher. Mais, quand on sait que le facteur de charge[3] de l’éolien n’est que de 20% (comparé à 90% dans le cas du nucléaire), à production d’électricité identique, ce dernier revient finalement nettement plus cher que le micro-nucléaire contrairement à la nouvelle EPR comme celle de Flamanville[4],[5] dont le coût reste lui prohibitif.
Ce coût doit toutefois être affiné notamment par rapport aux équipes de maintenance et de production dont les compétences sont sans comparaison avec celles requises dans des centrales à gaz.
Ces réacteurs représentent-ils une solution intéressante pour participer à la croissance verte ? Y-a-t-il un frein à leur développement ?
Sauf à accepter de fréquents blackouts électriques comme celui survenu récemment en Californie, la croissance verte ne peut reposer sur les seules énergies renouvelables intermittentes. Par ailleurs, le modèle centralisé consistant à « électrifier Lille avec le soleil de Marseille ou le vent de Bordeaux » ne peut être viable : le grand intérêt des ENR est de consommer localement l’électricité là où elle est produite. Mais même dans le cas d’une production locale, les ENR auront besoin d’être supportées par un ami compensant les intermittences.
On considère aujourd’hui le gaz comme l’ami le plus fiable des ENR : centrales de quelques dizaines de MW au coût d’installation relativement faible, possibilité d’utiliser des cycles combinés doublant le rendement. Mais le gaz a aussi ses inconvénients. D’une part, son prix qui représente une part significative du coût du MWh est très fluctuant. D’autre part, même s’il émet deux fois mois de CO2 que le charbon, il reste une source d’énergie carbonée. Et c’est ici que le micro-nucléaire prend toute sa valeur : de petites unités locales de quelques dizaines de MW pour supporter les intermittences des ENR mais produisant une électricité totalement décarbonnée. EDF l’a bien compris : l’opérateur français a signé en 2019 une JV[6] avec le CEA, et Westinghouse Electric Company en vue de développer de petits réacteurs modulaires.
Pourtant, si en Russie en Chine et aux US, le nucléaire est aujourd’hui considéré comme une alternative d’avenir à la micro-génération gazière pour pallier aux intermittences des ENR, en Europe l’opposition sociétale reste forte. Elle représente même à moyen terme le principal frein au développement de cette technologie. Un village gaulois est-il prêt à vivre avec une centrale nucléaire installée dans sa périphérie ?
En tergiversant, l’Europe risque une fois de plus de rater un train qui démarre !
[1] https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-08-31/mini-reactors-could-mark-nuclear-power-s-return-in-the-push-for-greener-grids
[2] https://www.pole-medee.com/2014/08/combien-coute-une-eolienne/
[3] Pourcentage annuel de fonctionnement pleine puissance
[4] https://actu.fr/normandie/flamanville_50184/nucleaire-le-cout-de-l-epr-de-flamanville-reevalue-a-19-milliards-par-la-cour-des-comptes_34854444.html
[5] https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/epr
[6] https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/le-cea-edf-et-westinghouse-electric-company-leaders-de-l-industrie-nucleaire-etudient-une-cooperation-dans-les-smr-small-modular-reactors-petits-reacteurs-modulaires