Les Français sont nuls en économie. Un constat qui pose évidemment d’abord un grave problème économique, puisque tant de décisions des acteurs, publics comme privés, sont liées à une compréhension des mécanismes en jeu. Edmund Phelps, prix Nobel en 2006, a calculé que ces lacunes faisaient perdre à la France un point de croissance chaque année.
Il est aussi possible de voir dans cette ignorance une cause de la préoccupante montée de propositions politiques extrêmes qui ont pour point commun de piétiner la raison et de bloquer les réformes. Familiariser enfin les Français avec l’économie s’impose dès lors comme un exercice indispensable pour la santé de notre démocratie.
Ignorance préoccupante
Un sondage Ifop avait montré en 2017 que deux tiers des Français n’avaient aucune idée de l’ordre de grandeur du PIB ou de la dette publique. Pire encore, près de 40 % d’entre eux estimaient la situation du commerce extérieur de la France assez bonne ou même très bonne… Des résultats semblables sont obtenus concernant le montant du SMIC et le coût réel des charges pour l’employeur.
De la même façon, une enquête menée par l’institut d’études BVA a montré qu’un fort pourcentage des personnes interrogées ne sait pas effectuer un calcul d’intérêts simple. À la question « Si vous avez placé 100 euros et que le compte est rémunéré à 2 %, combien aurez-vous au bout d’un an sur votre compte ? », 42 % des personnes interrogées en 2014 ne donnaient pas la bonne réponse, soit 102 euros.
Il ne s’agit pas de ranimer la querelle née du livre de Cahuc et Zylberberg (« Le négationnisme économique », dont voici les meilleurs extraits), qui a eu le mérite d’alerter contre certaines dérives d’une discipline qui essaye tant bien que mal de prétendre à la scientificité. Au-delà des débats qui peuvent opposer telle ou telle école, il est indéniable que la compréhension de certains mécanismes, désormais bien connus, est indispensable pour tenir des raisonnements économiques corrects, comme l’effet d’une baisse des taux d’intérêt sur le prix des actifs, sans parler évidemment des notions basiques (comme la différence entre chiffre d’affaires et bénéfice !).
Prise de conscience
Les causes de notre ignorance sont à chercher dans notre détestation culturelle de l’économie de marché. L’influence des communistes après-guerre a très profondément marqué notre relation à l’économie. On en trouve l’écho dans la façon assez politisée dont nombre d’enseignants du secondaire en sciences économiques et sociales conçoivent aujourd’hui leur mission. L’étendue démesurée du programme prétendant embrasser à la fois l’économie, la sociologie, la démographie et les sciences politiques en accentue le flou et favorise un traitement extrêmement superficiel des questions essentielles qui ne sont pas assimilées.
La réforme annoncée du baccalauréat offre une occasion unique de remettre en chantier tout ce pan de notre système éducatif. La nomination par le gouvernement d’un groupe de travail dirigé par l’économiste Philippe Aghion est la preuve d’une prise de conscience réelle. Il faudra la traduire en acte en revoyant en profondeur le programme du lycée afin de laisser plus de place aux concepts et mécanismes de base et moins aux opinions militantes.
Il faut aussi favoriser l’émergence de nouveaux outils de découverte de l’économie comme les études de cas, les simulations ou les « jeux sérieux », encourager les approches transdisciplinaires mettant en évidence les phénomènes économiques présents dans l’histoire. De nouveaux canaux de transmission devraient aussi être développés, dont évidemment les cours en ligne et les sites spécialisés dont il convient d’encourager l’éclosion.
Chaque citoyen devrait être doté des clés de compréhension lui permettant d’appréhender en toute indépendance intellectuelle un vaste champ de questions allant de la compétitivité des entreprises à la cohésion de notre société. Il est essentiel pour notre stabilité politique comme pour notre prospérité future d’enseigner le raisonnement et la logique économique à tous les citoyens, de manière aussi neutre, complète et non dogmatique que possible.