Le vent de la tempête numérique s’est à peine levé. Si les bourrasques d’hier ont pu nous effrayer, que devons-nous craindre de celles qui approchent ? Tous les observateurs ne sont pas d’accord sur la direction précise des bouleversements à venir. Tous en revanche se rejoignent sur un point : les prochaines décennies verront de profondes et rapides transformations.
La science dévoile chaque jour d’enivrantes découvertes. Demain l’aveugle retrouvera la vue, le sourd entendra, la paralytique courra plus vite qu’Usain Bolt. La machine est annoncée comme solution universelle. Le Deus ex machina des théâtres d’hier se change en Machina deus : le robot se fait Dieu. L’artificielle apparition d’hier devient une divinité réelle qui risque toutefois fort de nous soumettre au lieu de nous servir.
Les promesses d’un avenir meilleur ont toutes leurs faces obscures. L’eugénisme, l’élimination des plus faibles, l’accroissement des inégalités, la séparation radicale de la société entre classes dominantes et dominées, l’asservissement, voire la disparition de notre espèce.
Ce Manifeste, qui affirme la raison d’être de l’Institut Sapiens, est un cri d’angoisse, un soupir de regret face au monde perdu mais aussi une exclamation de joie devant les nouvelles possibilités qui s’offrent à nous. Notre époque est, en même temps, effrayante et merveilleuse. Elle est celle des extrêmes devant les mondes possibles. Elle est celle de l’incertitude aussi. Les sommets y voisinent les abysses.
L’avenir précise déjà certains de ses contours, mais il n’est pas écrit. Etre humain était autrefois un fait et une contrainte. Demain, être humain sera un choix. Ce sont les termes d’un nouveau savoir-vivre, au sens plein du terme, dont il faut jeter les bases.
L’enjeu du siècle qui commence n’est en fait ni la technologie ni le développement économique. Il est de réinventer la place de l’homme dans le monde. Face à l’omniprésente automatisation et au pouvoir démiurgique conféré par la technologie, nous allons devoir concevoir un art de vivre original. Il sera fondé sur une conception renouvelée de ce qu’être humain veut dire.