La France et l’Europe ont raté le virage de l’intelligence artificielle et du Big Data, ayant donné aux GAFA, aux BATX et aux NATU la primeur de l’innovation et la tête de la bataille du numérique. Au tournant des années 2000, nous avions également raté le virage internet suite au rapport de Gérard Théry qui jugeait que cette technologie n’avait aucun avenir face au minitel.
Pendant que nous débattons en surface d’un point de réforme de la SNCF, d’autres se chargent de préparer la révolution de la mobilité. Waymo, filiale de Google, a déjà commandé 40.000 véhicules autonomes à Fiat-Chrysler qui seront livrés à la fin de l’année. Baidu, épaulé par le gouvernement chinois, lance un test grandeur nature de ses véhicules autonomes de niveau 5 sur 105 kilomètres de route et espère pouvoir lancer ses premiers modèles dès 2019.
Cette appétence française pour un débat épidermique comme celui du statut des cheminots n’a rien d’anodin et traduit un manque d’ambition pour la mobilité du futur. Les français ne sont pas encore prêts pour le véhicule autonome : selon un sondage médiamétrie réalisé en novembre 2017, seuls 11% des interrogés avouent avoir totalement confiance en l’intelligence artificielle pour conduire une voiture alors que 86% des sondés jugent que l’IA est une bonne évolution.
Si la bataille cognitive est loin d’être gagnée, ce n’est pas le cas de la bataille technologique. Malgré l’avancée des GAFA et des BATX en la matière, la France dispose elle aussi de nombreuses pépites pouvant rivaliser avec eux. Que ce soit les toulousains EasyMile qui ont développé le EZ10, un minibus 100% électrique pouvant transporter jusqu’à 10 personnes sur des trajets préenregistrés ; ou Navya, startup lyonnaise qui a développé un Autonom Cab à la demande testée sur les routes parisiennes en novembre dernier ; notre pays possède des talents ayant le potentiel pour partir à la conquête des marchés mondiaux. Un mouvement dans lequel s’engouffrent aussi de grands groupes comme Renault, qui a présenté en ouverture du salon de l’automobile de Genève, son modèle EZ-GO, son taxi autonome pouvant transporter jusqu’à 6 personnes et qui se commande grâce à un smartphone.
Là où le bât blesse, c’est que les véhicules autonomes sont interdits de circuler. La Convention de Vienne qui régit depuis 1968 la circulation au niveau mondial, interdit à un véhicule de prendre la route si le conducteur n’a pas les mains sur le volant. Une directive qui a été assouplie en mars 2016 pour permettre le test sur route de véhicules à l’autonomie relative de niveau 4 ou moins, à savoir disposant d’un système permettant au conducteur de reprendre le contrôle de son véhicule à tout moment. Une opportunité que va saisir Renault en testant au mois de juin des Zoé autonomes sur les routes normandes.
Un nouvel amendement devrait intervenir prochainement pour lever la limitation imposée aux fonctions de pilotage automatique au-dessous de 10km/h, cependant l’Europe est la traine puisque les Etats Unis n’ont pas ratifié la Convention de Vienne et ne sont donc pas soumis aux même règles contraignantes. De plus, l’agence fédérale américaine en charge de la sécurité routière, a reconnu le statut de conducteur à l’ordinateur des Google Car, ce qui donne aux acteurs américains une longueur d’avance pour l’expérimentation.
Collectivement, nous devons militer pour lever les freins empêchant la circulation des véhicules autonomes, tant ils représentent une réponse pertinente à deux maux français.
Sur le plan territorial, le déploiement de véhicules intelligents sans chauffeurs et interconnectés entre eux permettrait de considérablement réduire les distances entre les métropoles et les territoires. Ces véhicules qui se commandent en un clic sur un smartphone pourront être l’équivalent de TER personnels disponibles à n’importe quelle heure et quadrillant notre pays, sortant ainsi de l’isolation des milliers de villages français en résorbant la fracture territoriale.
Sur le plan industriel la production de ces véhicules, sur notre territoire pourrait permettre la création de plusieurs milliers d’emplois au niveau national et redynamiser notre industrie agonisante. Le marché du véhicule autonome pourrait représenter près de 900 milliards € d’ici 15 ans selon le cabinet Roland Berger, et près de 90% des automobilistes chinois sont prêts à en acheter un selon l’Observatoire de l’Automobile. En s’engouffrant dans ce marché, la France peut en devenir un des leaders mondiaux et ainsi résorber un déficit commercial qui s’est établi à 62,3 milliards € en 2017 en inondant les marchés asiatiques et américains de produits estampillés « Made in France ».
Le véhicule autonome est une fantastique opportunité pour notre pays d’être le pionnier de la mobilité du futur. Cette technologie peut être le moteur d’une nouvelle croissance et la solution à la grave fracture territoriale qui caractérise la France. Il est donc temps d’envisager le transport de demain en le déployant dès aujourd’hui.