C’est une petite musique qui se fait obsédante depuis quelques années : les espèces seraient un outil désormais obsolète et les jours du cash seraient comptés. Face à la concurrence toujours plus féroce de la carte bancaire ou encore à l’essor de nouvelles solutions de paiement, le cash serait irrémédiablement en perte de vitesse.
Au demeurant, pourquoi pleurer pièces et billets, ces reliques d’un autre temps ? Comme la vapeur a cédé la place à l’électricité, quoi de plus naturel que de voir disparaître des supports révolus à l’ère du tout numérique ? Un paiement en remplace un autre : c’est la marche incontestable du progrès technologique.
Cette évolution serait d’autant plus souhaitable que les espèces, non contentes de coûter un argent fou, protègent des pratiques condamnables ! La fraude fiscale et sociale ? Le blanchiment d’argent ? C’est la faute du cash et de sa maudite absence de traçabilité ! Avec la monnaie fiduciaire, disparaîtraient également tous les risques – vol, fausse monnaie et même transmission de maladies – associés aux espèces. Au fond, pour les partisans d’une société sans cash, ce ne serait pas seulement le triomphe naturel de la technologie mais celui du bien et de la vertu.
Nous forçons bien sûr le trait. Mais force est de reconnaître que des voix nombreuses prédisent à court ou moyen terme la disparition des espèces et l’avènement d’une société cashless. On ne se contente pas de nous présenter cette évolution comme un avenir inéluctable : on se félicite bien souvent de voir disparaître un objet obsolète.
La question du cash est-elle donc définitivement tranchée ? Pas si sûr. Outre que le cash montre encore une vigueur qui doit interroger sur la pertinence de ses avis de décès, rien n’interdit de considérer les nouveaux moyens de paiement et les espèces comme des outils complémentaires. De fait, les espèces possèdent des caractéristiques que ne réunit aucune alternative de paiement. Surtout, il serait regrettable de ne considérer le cash que sous un aspect technique : la capacité à payer en espèces est aussi une question sociale et politique. Le cash n’est pas seulement un moyen de paiement inclusif, mais également un des derniers espaces de liberté dont disposent tous les individus.
Dans les pages qui suivent, nous avons souhaité explorer en profondeur ce dossier du cash, en nous intéressant certes principalement à la situation des espèces en France mais en apportant également un éclairage européen sur cette question. Si la disparition des espèces va pour certains dans le sens de l’Histoire, nous verrons que la monnaie fiduciaire est encore plébiscitée par les habitants du vieux continent. Nous examinerons également les limites de certaines critiques adressées aux espèces, ainsi que les avantages objectifs qui devraient conduire chaque citoyen à militer pour une sauvegarde du cash.