L’agriculteur : le serf de quelqu’un
Vous avez dit « serf ».
L’agriculteur peut être amené à vendre ponctuellement une partie de sa production à perte. Du point de vue économique, cela fragilise son entreprise, mais cela va bien au-delà. Dans une filière, si une partie de la filière vend à perte, c’est qu’elle subventionne quelqu’un d’autre, soit le consommateur final ou un autre maillon de cette filière.
Dans l’alimentaire, la loi interdit au distributeur de vendre à perte pourtant l’agriculteur est dans cette même branche, lui est quelques fois forcé de vendre à perte. La filière alimentaire possède donc des incohérences. D’où cela peut-il venir ?
Dans le combat contre l’inflation, le consommateur n’accepte pas de payer plus cher son alimentation, mais cette dernière a bien un prix et ne pas l’accepter à des conséquences sur l’orientation du combat qui s’opèrent dans la filière alimentaire pour « les prix bas ». Les magasins, la distribution, l’agroalimentaire et les agriculteurs vont donc s’étriper dans des rapports de forces insolubles pour la guerre des prix et le maintien des marges. Ce qui est sûr, c’est que cette guerre fait des victimes. La filière alimentaire agricole travaille sur un temps long. Les élevages et les cultures demandent du temps avant de produire pleinement et changer d’activité demande également du temps, les revirements conséquences des négociations à court terme ne peuvent être suivis par les agriculteurs.
Cette guerre des prix n’est pas tenable à long terme. Celui qui perdra le plus sera obligatoirement le maillon le plus faible ou celui sur qu’il est acceptable socialement de négliger.
Même s’il a été identifié qu’il fallait préserver des prix rémunérateurs pour les agriculteurs (dans le sens que l’agriculteur puisse survivre), ces derniers font très souvent les frais de ce combat acharné pour les prix. Il est bon de rappeler que l’opinion publique acceptait la logique « des prix équitables » pour des productions venant de l’autre bout
du monde mais cette même logique pour les producteurs nationaux locaux est arrivée que timidement sur les marchés. La guerre des prix entraine ainsi des faillites économiques mais encore plus grave, elle a aussi un coût en vie humaine au vu du nombre de suicides chez les agriculteurs (un agriculteur se suicide tous les 2 jours en France). Ces pertes humaines n’ont pas l’air d’émouvoir l’opinion publique et ce depuis longtemps. L’agriculteur ne peut pas vivre seulement d’amour de sa terre et d’eau fraîche comme le laisse penser le comportement du citoyen qui nous enferme avec sa vision romantique de la ferme agricole avec sa « petite » production. Ces références à ce monde agricole remontent peut-être à des temps anciens où l’agriculteur était le serf de quelqu’un.
Il faut donc que non seulement les professionnels de la filière se coordonnent pour travailler ensemble de manière responsable sans que l’Etat intervienne à chaque étape et que le consommateur avec l’aide des associations responsables n’attise pas les flammes à tout bout de champs.
Le modèle de l’exploitation agricole familiale est maintenant arrivé à sa limite en regard des multiples compétences qu’il faut développer dans cette activité. L’exploitant a du mal à porter toutes les casquettes en même temps : technicien agricole, gestionnaire, suivi administration, intégration des nouvelles réglementations, intégration environnementale… Le modèle agricole doit donc aussi se restructurer en profondeur. La dynamique est certes en route mais si les autres acteurs de la filière alimentaire l’utilisent toujours autant comme la variable d’ajustement, ça va finir par craquer. Il est peut-être temps que les acteurs de la filière alimentaire intègrent différemment les agriculteurs dans leur RSE et ceci s’applique aussi aux consommateurs.
Nous sommes donc face à une anomalie économique et sociétale. Aujourd’hui, l’agriculteur ne doit plus être le serf de la société.
Fabrice Gouennou