Le 27 septembre 2023 était présenté au Conseil des Ministres, le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2024. Chaque année, ce moment très attendu par tous les professionnels de santé amène déception voire colère. Sans surprise, le PLFSS 2024 ne fait pas exception.
La déception est d’autant plus grande que pendant l’année, de nombreuses promesses ont été émaillées par les autorités compétentes : amélioration du parcours de soins et de la motivation des professionnels de santé ; lutte contre les pénuries de médicaments ; ou encore relocalisation de la production des médicaments au niveau national ou européen. Toutes laissaient espérer des engagements budgétaires à la hauteur priorités, nécessaires à leur exécution.
Au moment du chiffrage quasi-définitif du PLFSS 2024, à la fin du deuxième trimestre 2023, Bercy présente la situation de la dette publique cumulée qui s’établit à 3 036,9 milliards d’euros soit 109,7 % du PIB, pour déficit de la branche maladie s’établissant à 21 milliards d’euros. Face à cette situation, le ministère des Finances annonce un niveau de dépenses autorisé quasiment identique sur le fonds et sur la forme aux années précédentes.
La première conséquence est une croissance de l’ONDAM (Objectif National des dépenses de l’Assurance Maladie) bien en deçà de l’inflation dans un contexte de nécessité d’investissements en santé, faisant ainsi baisser le niveau des dépenses réelles de santé, quand les besoins sont croissants.
Notre système de santé nécessite des investissements massifs. Eriger comme priorité en sortie de COVID, il doit engager la modernisation de l’organisation des soins, la prise en charge accrue de la santé mentale, et l’accompagnement du vieillissement de la population, tout en favorisant le développement d’innovations essentielles à l’avenir de notre système. Comment réaliser ces objectifs et répondre aux contraintes opérationnelles bien réelles, avec une croissance de l’ONDAM de 3,2 % hors crise sanitaire (s’établissant à 254,9 milliards d’euros) dans un contexte inflationniste bien au-delà des 2,5 %[1] optimistes envisagés pour la construction de ce budget pour 2024 ? Le tout impliquant un objectif d’économies évalué à 3,5 milliards d’euros pour respecter la croissance de l’ONDAM.
Les leviers fixés pour lutter contre la gabegie de notre système de santé (qui reste le plus généreux au niveau mondial) comme veiller à la pertinence des arrêts de maladie, rationaliser les transports, lutter contre la fraude, renforcer l’efficience et la pertinence des soins, sont nécessaires. Reste une question : sont-ils suffisamment ambitieux pour générer les économies attendues en 2024 ?
- Toujours les mêmes leviers d’économies
Dans le but d’identifier les voies d’évolution possibles des systèmes de financement et régulation des produits de santé la mission « régulation des produits de santé » avait conclu dans son rapport d’août 2023 sur un « New deal garantissant un accès égal et durable des patients à tous les produits de santé » [2] et appelait à un engagement de tous les acteurs en proposant une cinquantaine de mesures. Malheureusement, dans ce PLFSS il n’y a pas d’évolution du système de régulation des produits de santé, on continue comme d’habitude, sans évolutions notables.
- Baisses de prix des médicaments et dispositifs médicaux
Compte tenu des montants en jeu, le plus efficace selon le gouvernement pour réaliser des économies, reste de toucher aux médicaments et dispositifs médicaux avec des économies estimées à 1,54 milliard d’euros (44 % des économies attendues) qui se décomposent en :
- 1 milliard de baisses de prix (dont 850 M€ sur le médicament),
- 300 millions de réductions des volumes,
- 240 millions liés à la maîtrise médicalisée[3].
Le réseau de pharmacies sera inévitablement impacté, limitant sa capacité à investir dans la mise en œuvre de missions pouvant garantir un accès augmenté à la santé. De plus les laboratoires pharmaceutiques seront redevables de la clause de sauvegarde6 si le montant total remboursé par l’assurance maladie pour les médicaments sur l’année 2024 est supérieur à 26,4 milliards d’euros. Le gouvernement pourrait s’engager à ce que ce montant versé par les entreprises ne dépasse pas 1,6 milliard.
Les baisses de prix des médicaments sont régulières et se chiffrent chaque année à au moins 800 millions d’euros. Entre 2010 et 2020 les prix des médicaments en ambulatoire ont baissé de 4,2 % annuellement en moyenne, de 3,3 % en 2021 et 3,4 % en 2022[4]. A cela s’ajoute les remises[5] reversées selon des contrats négociés avec le CEPS[6] et la clause de sauvegarde[7]. Ainsi de 2010 à 2019 le chiffre d’affaires des entreprises pharmaceutiques est resté stable, passant de 23,8 milliards à 23,75 milliards d’euros.
En 2022 et 2023, la croissance de ce chiffre d’affaires, après remises et clause de sauvegarde, serait de + 3,5 % et +2,4 %, principalement liée aux médicaments innovants.
Les baisses de prix affectent l’ensemble du marché : médicaments de référence et médicaments génériques. Espérons que les médicaments les plus anciens qui subissent régulièrement des baisses de prix alors que les coûts de production ne cessent de croître (augmentation du coût des matières premières, des articles de conditionnement) seront épargnés, notamment pour maintenir la rentabilité et financer les investissements nécessaires pour la conformité des sites aux normes réglementaires.
- Méthode de calcul de la clause de sauvegarde encore modifiée à la marge
L’assiette des médicaments concernés par la clause de sauvegarde reste inchangée, mais le calcul va à nouveau être modifié, puisqu’il prendra en compte cette fois-ci les dépenses prises en charge par l’Assurance Maladie et non le chiffre d’affaires des médicaments remboursables.
Cette assiette est rectifiée pour 2023 pour un montant de 24,9 milliards d’euros au lieu des 24,6 milliards prévus dans le LFSS 2023 afin de prendre en compte l’inflation et l’arrivée de médicaments innovants coûteux.
Pour 2024, la base n’est plus le chiffre d’affaires annuel hors taxes du médicament minoré des remises, mais le montant annuel remboursé par l’assurance maladie minoré des remises, de la marge pharmaciens, honoraires de dispensation et taxes. Le montant qui déclenchera la clause de sauvegarde est de 26,4 milliards d’euros.
Cependant les médicaments génériques ne sont toujours pas épargnés par la clause de sauvegarde même si leur croissance permet à la Sécurité Sociale de réaliser des économies significatives. Un espoir d’aménagement pour cette catégorie de médicaments est attendue par les industriels du secteur.
Les génériqueurs ne cessent d’alerter sur le carcan financier dans lequel ils sont enfermés : entre la fixation initiale du prix (-60% par rapport au médicament princeps), les baisses de prix régulières, la clause de sauvegarde, et les remises pharmaciens jusqu’à 40 %. De plus le très large portefeuille de leurs produits nécessite une logistique complexe pour assurer l’approvisionnement sans rupture. Mais ils ne sont toujours pas exclus de la clause de sauvegarde malgré leurs apports très positifs à la réduction du déficit des comptes de la branche santé dans le budget.
- Biosimilaires, hybrides : des économies possibles qui tardent
Quant aux économies attendues grâce aux biosimilaires, elles se font toujours attendre par absence de décision de l’ANSM pouvant permettre la substitution par le pharmacien d’un plus grand nombre de produits biologiques comme l’enoxaparine, l’insuline glargine. Pour le moment il n’y a que le filgrastim et pegfilgrastim, facteurs de croissance indiqués lors de chimiothérapies qui avaient déjà une part de marché très importante. L’ANSM et les associations de patients semblent toujours vouloir privilégier la prescription du médecin, un travail de mise en confiance est nécessaire pour avancer vers cette substitution.
Pour inciter, dans ce cas, les pharmaciens à substituer le médicament prescrit par un médicament moins cher pour la Sécurité Sociale, ils doivent pouvoir bénéficier de la même marge avec les médicaments biosimilaires qu’avec les médicaments de référence comme c’est le cas pour les médicaments génériques. Mesure qui peut être rapidement mise en place.
Depuis 2019 des économies sont attendues avec les médicaments hybrides, mais là encore l’ANSM n’a toujours pas précisé les groupes de médicaments qui peuvent être substitués, par exemple, des économies seraient attendues avec les médicaments de traitement de l’asthme. Nous pouvons espérer qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt avec des laboratoires qui détiennent les médicaments de référence et investissent en production en France. Ce qui montrerait toute la perversité de notre système de régulation.
Néanmoins, il faudra, là aussi, mettre en place en parallèle des mesures qui motiveraient les pharmaciens à réaliser la substitution
- Réflexion sur les enveloppes budgétaires
Le profil des médicaments a complètement changé. Désormais, ce sont des médicaments issus de technologies complexes avec une adaptation possible à chaque patient. Les populations concernées sont petites de quelques dizaines à quelques centaines de patients : comment mettre leur financement dans la même enveloppe budgétaire que les médicaments chimiques anciens destinés à un grand nombre de patients.
Est-ce que mettre en place deux enveloppes distinctes ne permettrait pas de piloter plus efficacement et de façon plus juste ces traitements en regroupant les médicaments ayant des contraintes financières et logistique similaires ? On ne gère pas un médicament chimique qui s’adresse à une large population comme un médicament de haute technologie pour une petite population.
Nous avons également besoin du développement des organisations académiques publiques, pour s’impliquer dans la production de ces médicaments de biotechnologie prescrits chez un tout petit nombre de patients avec des contraintes organisationnelles.
Les modes de régulation des politiques du médicament doivent être repensées pour prendre en compte l’arrivée massive des innovations de rupture.
- Le pharmacien devient un acteur clé dans la prévention, la prise en charge de petites pathologies, mais reste en attente de rémunérations correctes.
Les mesures relatives aux nouvelles missions du pharmacien sont les bienvenues. Elles le placent comme un acteur central de la santé. Un exemple, l’utilisation de tests rapides d’orientation (les TROD) permettront le diagnostic d’angine ou de cystite, et les patients pourront directement bénéficier d’un traitement adéquat sans attente. Le pharmacien jouera un rôle également dans la prévention, secteur jusque-là insuffisamment développé, pour permettre des économies significatives grâce à une prise en charge précoce. Le pharmacien devient un acteur de santé essentiel pour pallier le manque de médecins dans beaucoup de régions mais l’impact des mesures envisagées va conduire beaucoup d’entre eux déjà en difficulté à sursoir aux investissements nécessaires pour développer ces missions.
Il est indispensable que les syndicats et la CNAM trouvent rapidement un accord pour que ces missions puissent être réalisées le plus rapidement possible par un grand nombre de pharmaciens.
Quant à la dispensation à l’unité, nous avions eu l’occasion de nous exprimer sur ce sujet[8] décrivant une opération chronophage sans valeur ajoutée. Parmi nos conclusions, figurent l’invitation aux médecins à établir des prescriptions adaptées à la posologie décrite dans l’autorisation de mise sur le marché du médicament, l’implication du pharmacien dans « l’acceptation du traitement » ( l’observance) pour inciter le patient à respecter son traitement aussi bien sur la prise et sur la durée.
Les pharmaciens ont échappé à la baisse des remises sur les génériques par les industriels de 40 % à 20% ce qui aurait généré une perte financière pour le réseau pharmaceutique de 650 millions d’euros. La Sécurité Sociale est très intéressée par cette idée de baisse qui réduirait ses remboursements alignés sur les prix de vente de médicaments génériques. Mais si elle doit en parallèle couvrir toutes pertes de revenus aux officinaux, où est le gain réel ? S’il s’agit de dire aux pharmaciens « ce que vous perdez sur le générique, nous vous proposons de le rattraper sur d’autres missions, ce n’est pas sûr que cela tienne, car les tensions sur la trésorerie ne vont pas les inciter à s’investir sur les nouvelles missions.
En conclusion le PLFSS 2024, fidèle à l’esprit des années précédentes, maintient toujours une faible croissance des dépenses de santé et utilise les mêmes leviers pour faire des économies. Il n’a pas introduit de mesure disruptive qui aurait permis de repenser le financement des produits de santé pour assurer une pérennité des médicaments les plus anciens et le financement des innovations thérapeutiques. Il nous reste qu’à espérer que la mise en place des « concepts » présentés dans le rapport de Régulation des Produits de Santé, apportera enfin une innovation du financement et de la régulation des produits de santé. Sinon ce sera encore une fois un temps précieux qui aura été perdu.
[1] PLFSS 2024 Communiqué de Presse
[2] Mission Regulation des Produits de Santé confiée par la Première ministre, Août 2023
[3] Projet de financement de la sécurité sociale 2024 ANNEXE 5 ONDAM et dépenses de santé
[4] Dépenses de Santé en 2022, Rapport DREES 2023
[5] Lors de la négociation du prix d’un médicament, le laboratoire peut s’engager à verser des remises sur le chiffre d’affaires hors taxe correspondant aux ventes de médicament si celles-ci dépassent un objectif.
[6] CEPS : Comité Economique des Produits de Santé
[7] Clause de sauvegarde : dès lors que les dépenses occasionnées par l’ensemble des laboratoires dépassent un montant fixé par la loi, une contribution fiscale est appelée auprès des entreprises pharmaceutiques : montant M
[8] https://www.institutsapiens.fr/observatoire/dispensation-du-medicament-a-lunite-bonne-conscience-mais-peu-defficience/