On ne parlerait pas tant du dialogue social dans notre pays s’il n’était pas profondément malade. La crise des Gilets jaunes a montré combien notre pays souffrait de l’affaiblissement des corps intermédiaires capables de faciliter l’expression des populations tout en les canalisant. L’enjeu n’est ainsi pas seulement économique, il est aussi politique.
Comment permettre enfin ce dialogue social tant espéré? D’abord en formulant avec lucidité le diagnostic des problèmes de notre syndicalisme. La France est le pays d’Europe où les partenaires sociaux ont le moins d’adhérents mais les pouvoirs les plus étendus: gestion de l’assurance chômage, de la formation professionnelle, des retraites, etc. On estime le taux de syndicalisation à 11,2% actifs (8,7% dans le secteur privé et 19,8% dans la fonction publique), alors qu’il était de 30% en 1949. La moyenne européenne se situe aux alentours de 23%. Dans les pays nordiques, ce taux est bien plus élevé: il atteint 74% en Finlande ou encore 70% en Suède.
Comment l’expliquer? En rendant le financement des syndicats indépendants de leur nombre d’adhérents, notre système a favorisé l’émergence de centrales peu préoccupées de leurs bases et orientées vers la défense d’intérêts qui leur sont propres. Le rapport Perruchot (que la représentation nationale, pour son plus grand déshonneur, avait voulu cacher aux citoyens), avait montré toute l’étendue des dérives d’un financement particulièrement opaque.
En figeant artificiellement le poids des centrales syndicales dans le dialogue social, on a favorisé leur transformation en instances parapolitiques de contestation, empêché une saine concurrence, cassé toute incitation à l’innovation et interdit d’évoluer vers un modèle de syndicalisme de service comme dans les pays du nord. Les négociations concernant le télétravail, qui risquent de fixer des conditions rédhibitoires pour son développement, montrent que le blocage est total.
Et si la solution était d’injecter tout simplement plus de logique démocratique dans un système qui en a été sevré depuis trop longtemps? Il conviendrait de remettre en cause la présomption irréfragable de représentativité dont bénéficient les syndicats historiques et qui s’apparente à une rente, pour redonner enfin le pouvoir aux salariés sur leur représentation. Il faut de plus mettre fin au monopole syndical au premier tour des élections professionnelles, qui existe depuis 1946 et qui interdit à un salarié de pouvoir se présenter en dehors de toute organisation syndicale.
Ce monopole n’est plus compris et entretient les syndicats actuels dans leur immobilisme. Les salariés qui construisent leur propre réseau et développent une influence au sein de l’entreprise notamment à l’aide des outils numériques doivent pouvoir se présenter aux élections, et ce dès le premier tour.
Le financement des syndicats doit être fondé sur leur performance. Un chèque syndical, venant en remplacement du financement public actuel (lié aux ressources des fonds paritaires et aux fonds de l’Association de gestion du fonds paritaire national financés par une part prélevée de 0,016% de la masse salariale des entreprises) pourrait être mis en place. Chaque actif choisirait la structure à laquelle il souhaite adhérer.
Les syndicats, directement financés par les salariés, seraient contraints de rendre des comptes à leurs adhérents. Et de leur être vraiment utile. Cette mesure permettrait l’émergence de nouvelles formes de représentations des salariés comme des coopératives ou des syndicats assurant des prestations de formation, de conseils et de représentations, pouvant elles aussi compenser les carences des organisations historiques.
Au sein même de l’entreprise, il faut enfin encourager l’accès aux outils numériques pour favoriser le dialogue social en le modernisant. Les nouvelles technologies donnent aux entreprises des outils d’expressions et de revendications directes des salariés. Il faut les utiliser à plein. Les pétitions internes sont un excellent moyen pour la direction d’une entreprise de prendre le pouls d’une entreprise. Associés aux réseaux sociaux d’entreprise, ces nouveaux dispositifs doivent être encouragés pour multiplier les prises de parole dans un cadre régulé. Le recours au référendum numérique d’entreprise pourrait permettre à chaque salarié de s’exprimer sur des sujets divers, notamment celui des conditions de travail.
Il est difficile de prévoir la nature des bouleversements qui auront lieu au cours des prochaines décennies. Mais nous pouvons être certains qu’ils auront lieu. La France a besoin de syndicats forts, apolitiques et pragmatiques, capables d’accompagner tous les travailleurs (et pas seulement les salariés) tout au long de leur vie active. Si on ne se donne pas les moyens de refonder d’abord la légitimité et le dynamisme de nos syndicats, le renforcement du dialogue social que chaque gouvernement appelle de ses vœux continuera d’être une vaine invocation.