A l’instar de l’éducation, l’accès à la santé est un élément fondamental de l’attractivité d’un territoire. Les travaux en la matière du Prix Nobel d’économie Amartya Sen démontrent que l’activité économique locale ne peut se développer sans une forte offre de santé induite. Par ailleurs, les deux discriminants majeurs d’accès aux soins reconnus par la DREES sont bien le niveau socio-économique et le lieu d’habitation. Or la désertification médicale est une réalité dans de nombreuses communes françaises. Pour ce qui concerne les généralistes par exemple, le rapport Vigneron estime que 62% des communes de moins de 10.000 habitants présentent un risque d’en être dépourvus dans les 7 prochaines années.
Les élus ruraux s’inquiètent à juste titre de cette tendance. Répondre à la problématique des déserts médicaux est donc, au-delà d’un défi sanitaire majeur, un enjeu économique et social. Elle doit se traiter sous deux angles : l’accès à la médecine générale et l’accès aux spécialistes, qui ne se pose pas seulement dans les zones sous-denses.
Face à cette urgence, il est fréquent d’invoquer des solutions simplistes, que l’on espère magiques. En tête de ces fausses pistes, caracole l’interdiction d’installation des professionnels dans des zones sur-denses. Anticonstitutionnelle, cette proposition risque de créer une rente pour les professionnels déjà installés dans cette zone, en confortant leur captation de patientèle, et favoriser ainsi une inflation tarifaire. L’efficacité des solutions coercitives est à discuter par rapport à des mesures désincitatives plus ciblées, comme le conventionnement différencié, la modulation des honoraires ou la prise en charge des cotisations sociales des professionnels de santé suivant leur lieu d’installation.
D’autres pays confrontés à cette désertification ont fait preuve d’inventivité pour l’enrayer. L’Australie a contourné sa géographie particulière en misant sur la téléconsultation et le télédiagnostic par imagerie médicale. Le Danemark a repensé son approche territoriale de la santé en faisant le choix de développer un nombre restreint d’hôpitaux, mais fortement équipés en nouvelles technologies ; de regrouper les médecins en cabinets devant consacrer deux heures par jour à la téléconsultation ; d’équiper les infirmières de mallettes connectées, permettant de visiter les populations âgées ou isolées, pour assurer la surveillance et certains soins.
Vouloir revenir à un prétendu âge d’or, caractérisé par la présence d’un généraliste dans chaque village est une utopie. Les solutions existent. Elles imposent de changer de logique quant à l’accès aux soins, en ne réfléchissant plus en matière de densité géographique des médecins, mais bien en taux de couverture par la dé-spatialisation :
- En envoyant de nombreuses infirmières équipées de smartphones, pas seulement dans les zones médicales sous-denses mais sur l’ensemble du territoire, pour rendre compte de l’état des patients à une plateforme de médecins et réaliser si besoin certains soins elles-mêmes. Pour cela, comme le suggère le récent premier comité de suivi de la pratique avancée, il faudrait lever les freins au déploiement des IPA et notamment au niveau de leur formation, dont l’offre de places est trop limitée, et du modèle économique en libéral, en élargissant leurs compétences, mais surtout en organisant dans certains cas un véritable transfert de responsabilité au-delà d’une simple délégation de tâches sclérosante.
- En ayant recours à la télémédecine de manière accrue, les infirmières pourraient ainsi être équipées d’outils d’intelligence artificielle d’aide à la décision. Les outils de télécommunication, dont le potentiel va s’accroître avec le déploiement de la 5G, permettent de rapprocher le médecin du soignant et du patient, sans tenir compte des contraintes géographiques. Si ces outils ne sont pas encore assez déployés – en dehors de l’imagerie et de la chirurgie – il est nécessaire de construire dès aujourd’hui une organisation des soins qui inclue la délégation de tâches praticien-IA, sous la responsabilité du médecin.
- En améliorant la formation initiale des généralistes, qui, durant leur cursus n’apprennent pas à se servir d’un échographe, d’un spiromètre ou d’un dermatoscope.
- En mutualisant le parc des hélicoptères nationaux entre les pompiers, la gendarmerie et l’armée de l’Air, la France disposerait d’un parc conséquent, qui faciliterait la circulation des patients entre les différents hôpitaux, suivant leurs besoins de recours, pour ne plus faire dépendre de limites géographiques l’accès à des soins pointus.
La crise a certes mis l’accent sur les problématiques hospitalières mais elle a également révélé les vertus de la téléconsultation par les généralistes, de la téléexpertise en EHPAD et du télésoin pratiqué par certains auxiliaires médicaux ou pharmaciens, au secours des patients les plus touchés. Si l’égalité d’accès aux soins est de la responsabilité de l’Etat, sa résolution par l’accès géographique à la médecine de base ne pourra se penser qu’à travers les expérimentations locales, une montée en charge des outils de télémédecine et un développement du capital humain soignant.